jeudi 22 mai 2014

PIERRE SALES llle PARTIE


PIERRE SALES
OU
LA VIE PUBLIQUE D'UN FEUILLETONISTE (IIIe PARTIE)

Pierre Sales est donc né à Trie sur Baïse, le 23 décembre 1856 : il est de quelques mois plus jeune que Pierre Decourcelle, de quelques années plus jeune que Jules Mary. Les recherches laissent apparaître qu'il avait un frère aîné, Bernard, né en 1851 et qui deviendra plus tard médecin (il apparaîtra dans l'acte de mariage de son jeune frère, Pierre Sales). Son père, Jean Rose Elisabeth Albert Sales est âgé de quarante deux ans lorsque naît notre futur romancier. Il est contrôleur des Contributions directes dans la circonscription dont dépend probablement Trie. Il a 73 ans et est à la retraite lorsque Pierre Sales se marie, le 25 décembre 1887. Jean Rose Sales a lui aussi un frère, Henri, qui deviendra Président du tribunal civil de Tarbes et membre du Conseil général des Hautes Pyrénées. L'épouse de Henri Sales est née Lucienne de Combes. Leur fils Gabriel de Combes sera lui aussi témoin au mariage de Pierre Sales et sert de modèle au romancier pour son avancement dans la vie journalistique. Les Sales font partie d'une vieille famille du Bigorre mais peu soucieuse de sa particule, celle-ci sera oubliée ou omise dans l'acte de naissance du feuilletoniste et c'est lui même qui dans une procédure la fera réapparaître en 1895, devant, bien sûr, le tribunal civil de Tarbes. On peut donc considérer que Pierre Sales fit une partie de ses études dans cette dernière ville, son éducation étant aussi surveillée par son oncle. Puis il ira au collège à Toulouse, où l'a précédé son frère. Mais très jeune, il veut voyager, devenir journaliste et il suivra son frère à Paris. Il ira en Angleterre, se perfectionner durant une année dans cette langue qui lui servira plus tard et à son retour, il prendra pour vivre un travail dans une banque. Il apprendra beaucoup à cette époque et sa propre vie nourrira l'imagination qu'il déploiera dans ses premières oeuvres. Dans un de ses livres les plus intéressants, Un Drame financier, il attribuera à l'un de ses personnages des éléments autobiographiques : ... « Puis il a terminé ses études à Tarbes et à Toulouse. Il a toujours été un élève brillant. Après cela, il a fait son droit... » On comprend bien qu'avec un père contrôleur des impôts et un apprentissage en banque, il était tout à fait en mesure de dénoncer la délinquance des milieux boursiers qui existait aussi, à cette époque, et depuis longtemps. Il faut lire sa description de la Bourse dans ce roman, elle donne un bon aperçu de son travail de romancier. Quant à sa présence à Paris, elle date de la remise en ordre de ses affaires, en juin 1874 (il a peine 18 ans), sa fille Emilie, Louise-Marie va naître. Cependant, il ne la reconnaîtra le 29 décembre 1887, lors de son mariage à la mairie du 17e arrondissement avec Louise-Augustine Letellier, née à Tourny (Eure) le 24 novembre 1855, dont le frère Paul Letellier (1), médecin homéopathe très connu (1859-1938), sera lui aussi témoin du mariage.
Si l'on considère le fameux article du Matin, expliquant l'écriture et la publication en feuilleton dans le Petit Journal daté du 15 février 1885 de son roman, Le Puits Mitoyen, article de Jean d'Epinay , qui relatait la génèse de cette œuvre d'un jeune débutant, on constate dans un autre numéro de ce journal (n°6085) daté du mardi 23 octobre 1900, qu'on doit réexaminer les faits sur le plan de la chronologie pour être plus exact. A dire vrai, il semble donc qu'avant d'être feuilletoniste et avant d'avoir un contrat avec l'éditeur Calmann-Levy, il avait déjà publié un premier roman qui avait rencontré, contrairement à ce que l'on a dit, un certain succès, chez un éditeur parisien, Edouard Rouveyre. Il s'agirait du roman Abandonnées qu'il reprendra plus tard sous d'autres titres. Ce roman serait paru au début de l'année 1884 (l'achevé d'imprimer de Rouveyre et Blond date du 1er mars), ce qui laisse à penser qu'il fut écrit en 1883 ou vers la fin de cette même année. Ce roman donne, d'ailleurs, une foule de détails autobiographiques sur l'écrivain en tant que journaliste... et sur les milieux culturels (peinture) de l'époque... et son ton incisif sur la société de son temps, sur la place des femmes, est déjà très remarquable.
Mais il y a mieux : il avait déjà écrit d'autres romans si l'on considère l'annonce dans La Presse, fin mars 1885, la parution chez Calmann-Levy de Louise Mornans et dans ce même journal le 16 avril 1885, toujours chez le même éditeur de La Souffrance d'une mère, trois romans qui étaient donc bel et bien écrits avant son roman judiciaire Le Puits mitoyen.
Si l'on veut, d'une certaine façon, c'était une révélation puisque l'éditeur Calmann-Levy, lui achetait tous ses romans déjà écrits et que le feuilleton le révélait à une foule de lecteurs dans le Petit-Journal ! L'éditeur avait flairé le bon coup et lui faisait presque un pont d'or.
Louise Mornans différait essentiellement par rapport au Puits Mitoyen dans ce sens que, s'il incluait aussi la relation d'un crime, c'était plutôt un de ces crimes sociaux et sournois jamais punis par la justice puisqu'on y amenait méthodiquement, de la part d'un banquier, financier commissionnaire puissant et jaloux et de plus imbu de sa position sociale, tenant presque uniquement à l'argent, deux des protagonistes de ce très beau roman, à les conduire à un suicide inéluctable selon les règles établies dans certains milieux. Pierre Sales montrait déjà très bien qu'il maîtrisait parfaitement ce genre et que dans la satire sociale, il n'épargnerait à l'avenir, ni la magistrature de son temps, ni les pouvoirs de l'argent et même de la politique. A ce sujet, il montrait dès le départ qu'il était un peu plus qu'un quelconque feuilletoniste. Enfin, on découvrait dans Louise Mornans l'affrontement de trois femmes luttant chacune pour une conception différente de l'amour. Quant aux hommes, ils étaient désespérément lâches et veules, incapables de s'assumer et c'était vraiment féroce pour eux.
L'année suivante avec La Femme endormie, il revenait au roman judiciaire. De plus, il tirait ce roman de l'une des affaires qui avait passionné et « passionnent encore le plus vivement les parisiens ». Calmann-Levy resta son seul éditeur jusqu'en 1891, publiant ses romans au rythme de deux à trois volumes par an.
Puis, Pierre Sales passa ensuite chez l'éditeur Flammarion. Les deux premiers furent deux romans historiques très réussis : Beau Page, sans doute en hommage à Balzac (Catherine de Médicis sous le règne de François II) et L'Argentier de Milan publié en feuilleton dans Le Gaulois de février à avril 1991.
Un autre moyen pour percer plus vite se fut son adhésion à la Société des Gens de lettres déjà centre de réunion et d'assemblées de tous les grands feuilletonistes de son époque. C'était déjà un syndicalisme destiné à protéger les droits d'auteurs devant les abus des éditeurs patentés et des directeurs de journaux abusifs. Lors d'une lettre de protestation adressé au Président de la Société des Gens de lettres, Victor Marguerite, en 1907 et rapportée par Le Temps du 18 novembre, portant sur les droits d'auteur, il dira : « Je tiens, à ce que la protestation d'un des plus anciens membres de la société.... »
En fait, Pierre Sales y adhéra dès le 7 avril 1891 avec pour parrains Albert Delpit et Georges Ohnet, le célèbre écrivain de ce chef-d'oeuvre qu'est Roger la Honte.
En cette fin de siècle, Zola dominait déjà son époque et il y adhéra lui aussi légèremet peu de temps avant. Il restait encore nombre d'anciens feuilletonistes datant de l'époque de Dumas, tels Paul Saunière, Paul Mahalin, etc... Ponson du Terrail s'était effacé peu avant l'arrivée de toute la nouvelle école. Ceux qui tenaient le haut du pavé dans ce domaine, c'étaient les Michel Zévaco, Marc Mario, Xavier de Montépin, Emile Richebourg, Charles Mérouvel, Pierre Decourcelle ou encore Jules Mary et dont beaucoup étaient proches de Sales, tels les deux derniers cités. Pierre Sales y avait sa place, de même que Gaston Leroux et Maurice Leblanc qui commençaient à s'affirmer, ainsi que quelques autres. La littérature populaire qui avait déjà envahi le Théâtre, se mit à tenir le haut du pavé. Mais avec le nouveau siècle, l'époque allait changer sous l'influence de la photographie et du cinématographe qui avait encore à se perfectionner. C'étaient des moyens nouveaux pour prendre de l'importance et donner du relief à une œuvre. Tous le sentirent bien et presque tous s'engouffrèrent dans la vague montante... Mais la première guerre mondiale les attendaient au tournant...
Dans les années quatre vingt dix, sous l'influence des grands procès et d'une littérature populaire de plus en plus imposante, la Société des Gens de Lettres prit une place de plus en plus importante dans les journaux. Le journal Le Gaulois du 17 avril 1893 donne un compte rendu de l'assemblée générale de la société : « L'Assemblée générale annuelle de la Sté des Gens de Lettres a eu lieu hier sous la présidence de M. Emile Zola. Environ « cent cinquante » sociétaires y assistaient. Pierre Sales est élu sociétaire pour trois ans à cette meme séance. Le mois suivant, c'est le Matin du 8 mai qui le signale, il assiste au banquet annuel où il entend les allucutions d'Emile Zola et de Jean Aicard. Le banquet se termine à 11heures du soir. Le lundi 9, il est présent à la réunion de la Société.
L'activité de Pierre Sales au cœur de la Société le mènera à assister à de nombreuses manifestations officielles ou privées et surtout à de nombreuses obsèques pour lesquelles il prononcera d'aussi nombreux discours très instructifs sur les écrivains décédés.
Charles Moreau
Copyright 22 mai 2014

           
                                      Pierre Sales son épouse et sa fille