L'EMPIRE BARBARE, UN ROMAN SANS PAREIL
GARY JENNINGS
PRESSES POCKET
PRESSES POCKET
C'est certainement le
plus extraordinaire des romans historiques que j'ai lu et je ne dis
pas cela pour plaisanter car j'en ai lu beaucoup. Avant de publier
ses grands romans, Azteca
et Marco Polo, Garry
Jennings écrivit du fantastique et les lecteurs français de la
revue Fiction seront
surpris d'apprendre que de 1963 à 1976, il eut 7 nouvelles de ce
genre traduites dans notre langue. RAPTOR (ou
si l'on veut, L'EMPIRE BARBARE)
est cependant incontestablement un roman historique dont l'esprit est
exceptionnel par sa composition et son travail de reconstitution. A
travers un personnage de fiction, Thorn, enfant abandonné par ses
parents car il n'est pas conforme à ce que doit être un enfant
normal (il a deux sexes, le masculin et le féminin et est donc
hermaphrodite sans pouvoir se reproduire), Jennings montre son
éducation chrétienne, d'abord dans un couvent dont les moines le
récupèrent lors de sa naissance car il est abandonné par ses
parents, puis à la suite d'un viol commis par l'un des moines, il
est considéré comme une femme et se retrouve dans un autre couvent
abritant des nonnes, puis son éviction et son bannissement définitif
lorsqu'il est surpris avec l'une d'entre elles à se réconforter, et
à travers la vie qu'il mènera dès lors à l'extérieur de ces
deux mondes clos, on découvrira, épisode par épisode, en fait,
un univers barbare décrit par tranche à la fois géographiques,
économiques et politiques, donc dans tout ses détails avec une
somptueuse minutie pour arriver à la constitution d'un nouvel
empire qui n'a rien de barbare destiné à succéder à celui de Rome
dont la décadence est inéluctable sous les coups du christianisme.
Sur ce sujet qui a fasciné de nombreux auteurs de science-fiction (et pas seulement eux), on trouve l'un des plus célèbre, Isaac Asimov, avec son empire stellaire de la série des Fondation ainsi que Van Vogt.
Sur ce sujet qui a fasciné de nombreux auteurs de science-fiction (et pas seulement eux), on trouve l'un des plus célèbre, Isaac Asimov, avec son empire stellaire de la série des Fondation ainsi que Van Vogt.
En même temps que l'exploration d'un monde,
l'évolution conduit Thorn à travers les duretés de la guerre,
animés par les aléas de la conquête du pouvoir. Quand Thorn
rencontrera accidentellement celui qui deviendra son maître, le
futur empereur Théodoric le Grand, il lui consacrera toute sa vie
pour l'aider à ramener la paix dans un monde perturbé.
Ce qui reste à Thorn qui est un être jeune,
il est violé à douze ans par un moine qui ne se rend pas compte de
la nature multiple qu'il a devant lui, c'est à réaliser sa double
personnalité, à la fois dans la sexualité et dans les
apprentissages de la vie en se frottant au contact de ses
compatriotes dont il découvre au fur et mesure tous les états, les
appétits et les faiblesses, ce dont il profitera et se servira.
Tout d'abord, et c'est l'aspect le plus fascinant de
la première partie du roman, après sa double éducation
dans les couvents où il apprend les langues, les canons et les
écritures, c'est la survie au cœur d'une nature âpre et sans
concession où il commencera par dresser un aigle, son juika-bloth,
(qu'il utilisera comme une véritable arme) et deviendra chasseur
sous la férule d'un ancien soldat romain, Wyrd, dont il obtiendra
tout et qu'il perdra définitivement lorsque celui-ci mourra, atteint
par la rage inoculée par un loup. Cet épisode formateur fait songer
aux romans de London et de James Oliver Curwood. Un épisode
intermédiaire situé avant la mort de Wyrd, nous montrera Thorn
affrontant une tribu de Huns qui ont enlevé une jeune femme enceinte
de son fils, ainsi que son petit-fils, parents du Légat Calidius.
Le qualificatif de Raptor qui est attribuée à
Thorn par Gary Jennings vient du fait qu'il tirera toujours un profit
ou une vengeance au terme de chacune de ses expériences, de ses
batailles ou de ses explorations. Et ceux qui se mettent en travers
de sa route de négociateur, le maltraitent, le retiennent prisonnier
ou veulent sa mort le paieront très cher comme l'adversaire de
Théodoric et son pire ennemi, son cousin Théodoric Strabo ou encore
Odoacre qui s'est proclamé empereur d'occident et est de fait le
rival que Théodoric doit détruire.
Donc avec chaque épisode, nous voyons en détail
le mécanisme de constitution d'un empire issue à la fois de la
conception que s'en font à la fois Théodoric et son ami Thorn dont
il ne soupçonnera pas jusqu'au bout la nature profonde. Nous
visitons l'empire du Nord au Sud et découvrons pourquoi Théodoric
fera de Ravenne, sa future capitale. Thorn, un rien machiavélique
avec ses deux personnalités, jouera le rôle d'un Missi dominici
avant l'heure, d'un chef de guerre, il aura le titre de maréchal, et
même d'un espion qui éliminera soit stratégiquement soit
physiquement les adversaires de son maître et ami et mais qui sont
aussi les siens. Il nous présente tous les peuples du futur empire
et les pires ce ne sont pas les barbares mais bel et bien les
catholiques, leurs prêtres, leurs évêques et leurs légats romains
successifs, dont Théodoric finira par laisser mourir en prison le
plus naïf d'entre eux après s'en être servi pour être reconnu, le
pape Jean.
Le plus savoureux est le dénouement absolument
inattendu et qui s'inscrit en faux dans le drame historique.
Théodoric le Grand qui n'a jamais cherché à se convertir au
catholicisme comme le fit Clovis, son beau-frère, ne mourra pas
comme les historiens le racontent, d'une dysenterie, mais d'une
manière que seul Thorn pouvait prévoir pour sauver la réputation
de son maître dont le déclin est inéluctable. Après la mort de
Théodoric, l'empire qui a duré une bonne trentaine d'année
s’effondrera faute d'une volonté égale à la sienne pour le
diriger et en maintenir la cohésion.
Le tout dans
une traduction exemplaire de Thierry Chevrier avec des commentaires
émérites et une attention scrupuleuse pour le texte de Gary
Jennings. Il ne reste plus à Thierry Chevrier qu'à s'attaquer au
dernier grand roman de l'auteur, Spangl
qui se déroule dans le milieu du cirque au XIXe siècle.
Charles Moreau
(copyright février 2013)
NOUVELLES DANS LA REVUE FICTION
- Myrrha (1962, Myrrha) in Opta, Revue Fiction n° 113, 1963.Au bout du rêve (1968, After all the dreaming ends)
in Opta, Revue Fiction n° 239, 1973. - Et ensuite ? (1969, Next)
in Opta, Revue Fiction n° 220, 1972. - La chasse aux spectres (1970, Specialisation)
in Opta, Revue Fiction n° 240, 1973. - Tom-le-chat (1970, Tom cat)
in Opta, Revue Fiction n° 252, 1974. - Une soirée en enfer (1971, How we pass the time in hell)
in Opta, Revue Fiction n° 241, 1974.