mardi 2 avril 2013

GARY JENNINGS ET THEODORIC LE GRAND


L'EMPIRE BARBARE, UN ROMAN SANS PAREIL
GARY JENNINGS
PRESSES POCKET
     C'est certainement le plus extraordinaire des romans historiques que j'ai lu et je ne dis pas cela pour plaisanter car j'en ai lu beaucoup. Avant de publier ses grands romans, Azteca et Marco Polo, Garry Jennings écrivit du fantastique et les lecteurs français de la revue Fiction seront surpris d'apprendre que de 1963 à 1976, il eut 7 nouvelles de ce genre traduites dans notre langue. RAPTOR (ou si l'on veut, L'EMPIRE BARBARE) est cependant incontestablement un roman historique dont l'esprit est exceptionnel par sa composition et son travail de reconstitution. A travers un personnage de fiction, Thorn, enfant abandonné par ses parents car il n'est pas conforme à ce que doit être un enfant normal (il a deux sexes, le masculin et le féminin et est donc hermaphrodite sans pouvoir se reproduire), Jennings montre son éducation chrétienne, d'abord dans un couvent dont les moines le récupèrent lors de sa naissance car il est abandonné par ses parents, puis à la suite d'un viol commis par l'un des moines, il est considéré comme une femme et se retrouve dans un autre couvent abritant des nonnes, puis son éviction et son bannissement définitif lorsqu'il est surpris avec l'une d'entre elles à se réconforter, et à travers la vie qu'il mènera dès lors à l'extérieur de ces deux mondes clos, on découvrira, épisode par épisode, en fait, un univers barbare décrit par tranche à la fois géographiques, économiques et politiques, donc dans tout ses détails avec une somptueuse minutie pour arriver à la constitution d'un nouvel empire qui n'a rien de barbare destiné à succéder à celui de Rome dont la décadence est inéluctable sous les coups du christianisme.   
     Sur ce sujet qui a fasciné de nombreux auteurs de science-fiction (et pas seulement eux), on trouve l'un des plus célèbre, Isaac Asimov, avec son empire stellaire de la série des Fondation ainsi que Van Vogt.
    En même temps que l'exploration d'un monde, l'évolution conduit Thorn à travers les duretés de la guerre, animés par les aléas de la conquête du pouvoir. Quand Thorn rencontrera accidentellement celui qui deviendra son maître, le futur empereur Théodoric le Grand, il lui consacrera toute sa vie pour l'aider à ramener la paix dans un monde perturbé.
     Ce qui reste à Thorn qui est un être jeune, il est violé à douze ans par un moine qui ne se rend pas compte de la nature multiple qu'il a devant lui, c'est à réaliser sa double personnalité, à la fois dans la sexualité et dans les apprentissages de la vie en se frottant au contact de ses compatriotes dont il découvre au fur et mesure tous les états, les appétits et les faiblesses, ce dont il profitera et se servira.
Tout d'abord, et c'est l'aspect le plus fascinant de la première partie du roman, après sa double éducation dans les couvents où il apprend les langues, les canons et les écritures, c'est la survie au cœur d'une nature âpre et sans concession où il commencera par dresser un aigle, son juika-bloth, (qu'il utilisera comme une véritable arme) et deviendra chasseur sous la férule d'un ancien soldat romain, Wyrd, dont il obtiendra tout et qu'il perdra définitivement lorsque celui-ci mourra, atteint par la rage inoculée par un loup. Cet épisode formateur fait songer aux romans de London et de James Oliver Curwood. Un épisode intermédiaire situé avant la mort de Wyrd, nous montrera Thorn affrontant une tribu de Huns qui ont enlevé une jeune femme enceinte de son fils, ainsi que son petit-fils, parents du Légat Calidius.
    Le qualificatif de Raptor qui est attribuée à Thorn par Gary Jennings vient du fait qu'il tirera toujours un profit ou une vengeance au terme de chacune de ses expériences, de ses batailles ou de ses explorations. Et ceux qui se mettent en travers de sa route de négociateur, le maltraitent, le retiennent prisonnier ou veulent sa mort le paieront très cher comme l'adversaire de Théodoric et son pire ennemi, son cousin Théodoric Strabo ou encore Odoacre qui s'est proclamé empereur d'occident et est de fait le rival que Théodoric doit détruire.
    Donc avec chaque épisode, nous voyons en détail le mécanisme de constitution d'un empire issue à la fois de la conception que s'en font à la fois Théodoric et son ami Thorn dont il ne soupçonnera pas jusqu'au bout la nature profonde. Nous visitons l'empire du Nord au Sud et découvrons pourquoi Théodoric fera de Ravenne, sa future capitale. Thorn, un rien machiavélique avec ses deux personnalités, jouera le rôle d'un Missi dominici avant l'heure, d'un chef de guerre, il aura le titre de maréchal, et même d'un espion qui éliminera soit stratégiquement soit physiquement les adversaires de son maître et ami et mais qui sont aussi les siens. Il nous présente tous les peuples du futur empire et les pires ce ne sont pas les barbares mais bel et bien les catholiques, leurs prêtres, leurs évêques et leurs légats romains successifs, dont Théodoric finira par laisser mourir en prison le plus naïf d'entre eux après s'en être servi pour être reconnu, le pape Jean.
    Le plus savoureux est le dénouement absolument inattendu et qui s'inscrit en faux dans le drame historique. Théodoric le Grand qui n'a jamais cherché à se convertir au catholicisme comme le fit Clovis, son beau-frère, ne mourra pas comme les historiens le racontent, d'une dysenterie, mais d'une manière que seul Thorn pouvait prévoir pour sauver la réputation de son maître dont le déclin est inéluctable. Après la mort de Théodoric, l'empire qui a duré une bonne trentaine d'année s’effondrera faute d'une volonté égale à la sienne pour le diriger et en maintenir la cohésion.
    Le tout dans une traduction exemplaire de Thierry Chevrier avec des commentaires émérites et une attention scrupuleuse pour le texte de Gary Jennings. Il ne reste plus à Thierry Chevrier qu'à s'attaquer au dernier grand roman de l'auteur, Spangl qui se déroule dans le milieu du cirque au XIXe siècle.
Charles Moreau
(copyright février 2013)
  
                                                                               
NOUVELLES DANS LA REVUE FICTION
  •  Myrrha (1962, Myrrha) in Opta, Revue Fiction n° 113, 1963.
    Au bout du rêve (1968, After all the dreaming ends)
    in Opta, Revue Fiction n° 239, 1973.
  • Et ensuite ? (1969, Next)
    in Opta, Revue Fiction n° 220, 1972.
  • La chasse aux spectres (1970, Specialisation)
    in Opta, Revue Fiction n° 240, 1973.
  • Tom-le-chat (1970, Tom cat)
    in Opta, Revue Fiction n° 252, 1974.
  • Une soirée en enfer (1971, How we pass the time in hell)
    in Opta, Revue Fiction n° 241, 1974.