PIERRE SALES
OU
LA VIE PUBLIQUE D'UN FEUILLETONISTE (IIIe PARTIE)
Pierre Sales est
donc né à Trie sur Baïse, le 23 décembre 1856 : il est de
quelques mois plus jeune que Pierre Decourcelle, de quelques années
plus jeune que Jules Mary. Les recherches laissent apparaître qu'il
avait un frère aîné, Bernard, né en 1851 et qui deviendra plus
tard médecin (il apparaîtra dans l'acte de mariage de son jeune
frère, Pierre Sales). Son père, Jean Rose Elisabeth Albert Sales
est âgé de quarante deux ans lorsque naît notre futur romancier.
Il est contrôleur des Contributions directes dans la circonscription
dont dépend probablement Trie. Il a 73 ans et est à la retraite
lorsque Pierre Sales se marie, le 25 décembre 1887. Jean Rose Sales
a lui aussi un frère, Henri, qui deviendra Président du tribunal
civil de Tarbes et membre du Conseil général des Hautes Pyrénées.
L'épouse de Henri Sales est née Lucienne de Combes. Leur fils
Gabriel de Combes sera lui aussi témoin au mariage de Pierre Sales
et sert de modèle au romancier pour son avancement dans la vie
journalistique. Les Sales font partie d'une vieille famille du
Bigorre mais peu soucieuse de sa particule, celle-ci sera oubliée
ou omise dans l'acte de naissance du feuilletoniste et c'est lui
même qui dans une procédure la fera réapparaître en 1895, devant,
bien sûr, le tribunal civil de Tarbes. On peut donc considérer que
Pierre Sales fit une partie de ses études dans cette dernière
ville, son éducation étant aussi surveillée par son oncle. Puis il
ira au collège à Toulouse, où l'a précédé son frère. Mais très
jeune, il veut voyager, devenir journaliste et il suivra son frère
à Paris. Il ira en Angleterre, se perfectionner durant une année
dans cette langue qui lui servira plus tard et à son retour, il
prendra pour vivre un travail dans une banque. Il apprendra beaucoup
à cette époque et sa propre vie nourrira l'imagination qu'il
déploiera dans ses premières oeuvres. Dans un de ses livres les
plus intéressants, Un Drame financier,
il attribuera à l'un de ses personnages des éléments
autobiographiques : ... « Puis il a terminé ses
études à Tarbes et à Toulouse. Il a toujours été un élève
brillant. Après cela, il a fait son droit... » On comprend
bien qu'avec un père contrôleur des impôts et un apprentissage en
banque, il était tout à fait en mesure de dénoncer la délinquance
des milieux boursiers qui existait aussi, à cette époque, et depuis
longtemps. Il faut lire sa description de la Bourse dans ce roman,
elle donne un bon aperçu de son travail de romancier. Quant à sa
présence à Paris, elle date de la remise en ordre de ses affaires,
en juin 1874 (il a peine 18 ans), sa fille Emilie, Louise-Marie va
naître. Cependant, il ne la reconnaîtra le 29 décembre 1887, lors
de son mariage à la mairie du 17e arrondissement avec
Louise-Augustine Letellier, née à Tourny (Eure) le 24 novembre
1855, dont le frère Paul Letellier (1), médecin homéopathe très
connu (1859-1938), sera lui aussi témoin du mariage.
Si l'on considère
le fameux article du Matin,
expliquant l'écriture et la publication en feuilleton dans le Petit
Journal daté du 15 février
1885 de son roman,
Le Puits
Mitoyen, article de Jean
d'Epinay , qui relatait la génèse de cette œuvre d'un jeune
débutant, on constate dans un autre numéro de ce journal
(n°6085) daté du mardi 23
octobre 1900, qu'on doit
réexaminer les faits sur le plan de la chronologie pour être plus
exact. A dire vrai, il semble donc qu'avant d'être feuilletoniste
et avant d'avoir un contrat avec l'éditeur Calmann-Levy, il avait
déjà publié un premier roman qui avait rencontré, contrairement à
ce que l'on a dit, un certain succès, chez un éditeur parisien,
Edouard Rouveyre. Il s'agirait du roman Abandonnées
qu'il reprendra plus tard sous d'autres titres. Ce roman serait paru
au début de l'année 1884 (l'achevé d'imprimer de Rouveyre et Blond
date du 1er mars), ce qui laisse à penser qu'il fut écrit en 1883
ou vers la fin de cette même année. Ce roman donne, d'ailleurs, une
foule de détails autobiographiques sur l'écrivain en tant que
journaliste... et sur les milieux culturels (peinture) de
l'époque... et son ton incisif sur la société de son temps, sur
la place des femmes, est déjà très remarquable.
Mais il y a mieux :
il avait déjà écrit d'autres romans si l'on considère l'annonce
dans La Presse, fin
mars 1885, la parution chez Calmann-Levy de Louise Mornans
et dans ce même journal le 16 avril 1885, toujours chez le même
éditeur de La Souffrance d'une mère,
trois romans qui étaient donc bel et bien écrits avant son roman
judiciaire Le Puits mitoyen.
Si l'on veut, d'une
certaine façon, c'était une révélation puisque l'éditeur
Calmann-Levy, lui achetait tous ses romans déjà écrits et que le
feuilleton le révélait à une foule de lecteurs dans le
Petit-Journal !
L'éditeur avait flairé le bon coup et lui faisait presque un pont
d'or.
Louise
Mornans différait
essentiellement par rapport au Puits Mitoyen
dans ce sens que, s'il incluait aussi la relation d'un crime,
c'était plutôt un de ces crimes sociaux et sournois jamais punis
par la justice puisqu'on y amenait méthodiquement, de la part d'un
banquier, financier commissionnaire puissant et jaloux et de plus
imbu de sa position sociale, tenant presque uniquement à l'argent,
deux des protagonistes de ce très beau roman, à les conduire à un
suicide inéluctable selon les règles établies dans certains
milieux. Pierre Sales montrait déjà très bien qu'il maîtrisait
parfaitement ce genre et que dans la satire sociale, il n'épargnerait
à l'avenir, ni la magistrature de son temps, ni les pouvoirs de
l'argent et même de la politique. A ce sujet, il montrait dès le
départ qu'il était un peu plus qu'un quelconque feuilletoniste.
Enfin, on découvrait dans Louise Mornans
l'affrontement de trois femmes luttant chacune pour une conception
différente de l'amour. Quant aux hommes, ils étaient désespérément
lâches et veules, incapables de s'assumer et c'était vraiment
féroce pour eux.
L'année suivante
avec La Femme endormie,
il revenait au roman judiciaire. De plus, il tirait ce roman de
l'une des affaires qui avait passionné et « passionnent
encore le plus vivement les parisiens ». Calmann-Levy resta son
seul éditeur jusqu'en 1891, publiant ses romans au rythme de deux à
trois volumes par an.
Puis, Pierre Sales
passa ensuite chez l'éditeur Flammarion. Les deux premiers furent
deux romans historiques très réussis : Beau Page,
sans doute en hommage à Balzac (Catherine de Médicis sous le règne
de François II) et L'Argentier de Milan publié
en feuilleton dans Le Gaulois
de février à avril 1991.
Un autre moyen pour
percer plus vite se fut son adhésion à la Société des Gens de
lettres déjà centre de réunion et d'assemblées de tous les grands
feuilletonistes de son époque. C'était déjà un syndicalisme
destiné à protéger les droits d'auteurs devant les abus des
éditeurs patentés et des directeurs de journaux abusifs. Lors d'une
lettre de protestation adressé au Président de la Société des
Gens de lettres, Victor Marguerite, en 1907 et rapportée par Le
Temps du 18 novembre, portant
sur les droits d'auteur, il dira : « Je tiens, à ce que
la protestation d'un des plus anciens membres
de la société.... »
En fait, Pierre
Sales y adhéra dès le 7 avril 1891 avec pour parrains Albert
Delpit et Georges Ohnet, le célèbre écrivain de ce chef-d'oeuvre
qu'est Roger la Honte.
En cette fin de siècle, Zola dominait déjà son
époque et il y adhéra lui aussi légèremet peu de temps avant. Il
restait encore nombre d'anciens feuilletonistes datant de l'époque
de Dumas, tels Paul Saunière, Paul Mahalin, etc... Ponson du Terrail
s'était effacé peu avant l'arrivée de toute la nouvelle école.
Ceux qui tenaient le haut du pavé dans ce domaine, c'étaient les
Michel Zévaco, Marc Mario, Xavier de Montépin, Emile Richebourg,
Charles Mérouvel, Pierre Decourcelle ou encore Jules Mary et dont
beaucoup étaient proches de Sales, tels les deux derniers cités.
Pierre Sales y avait sa place, de même que Gaston Leroux et Maurice
Leblanc qui commençaient à s'affirmer, ainsi que quelques autres.
La littérature populaire qui avait déjà envahi le Théâtre, se
mit à tenir le haut du pavé. Mais avec le nouveau siècle, l'époque
allait changer sous l'influence de la photographie et du
cinématographe qui avait encore à se perfectionner. C'étaient des
moyens nouveaux pour prendre de l'importance et donner du relief à
une œuvre. Tous le sentirent bien et presque tous s'engouffrèrent
dans la vague montante... Mais la première guerre mondiale les
attendaient au tournant...
Dans les années
quatre vingt dix, sous l'influence des grands procès et d'une
littérature populaire de plus en plus imposante, la Société des
Gens de Lettres prit une place de plus en plus importante dans les
journaux. Le journal Le Gaulois
du 17 avril 1893 donne un compte rendu de l'assemblée générale de
la société : « L'Assemblée générale annuelle de la Sté
des Gens de Lettres a eu lieu hier sous la présidence de M. Emile
Zola. Environ « cent cinquante » sociétaires y
assistaient. Pierre Sales est élu sociétaire pour trois ans à
cette meme séance. Le mois suivant, c'est le Matin
du 8 mai qui le signale, il assiste au banquet annuel où il entend
les allucutions d'Emile Zola et de Jean Aicard. Le banquet se termine
à 11heures du soir. Le lundi 9, il est présent à la réunion de
la Société.
L'activité de Pierre Sales au cœur de la Société
le mènera à assister à de nombreuses manifestations officielles ou
privées et surtout à de nombreuses obsèques pour lesquelles il
prononcera d'aussi nombreux discours très instructifs sur les
écrivains décédés.
Charles Moreau
Copyright 22 mai 2014
Pierre Sales son épouse et sa fille