Pierre de Sales naquit le 22
décembre 1856, à Trie sur Baïse (Hautes-Pyrénées) donc ni à
Tric, ni à Tarbes, ni en 1854, comme l'ont affirmé beaucoup de
journalistes de l'époque. Il était le fils de Jean, Rose,
Élisabeth, Albert de Sales et de Émilie, Thérese Guénin. Son père
exerçait la profession de Contrôleur des Contributions directes
dans la région. Son éducation ne fut pas négligée pas plus que
celle de son frère Bernard qui devint médecin.
Ce qui certain, c'est qu'il fit
une partie de ses études à Tarbes (Hautes-Pyrénées) et à
Toulouse, avant de monter à Paris pour y exercer très jeune la
profession de journaliste. Mais auparavant, il voyagea en Angleterre,
pays qui ne lui laissa pas que de bonnes impressions et à son
retour, il entra dans une maison de banque et de commission avant de
se consacrer au roman populaire, on verra dans quelles circonstances.
On retrouvera ainsi, dès ses débuts, dans la plupart de ses
romans, son goût pour les chiffres et les situations financières
donc venant et de l'héritage paternel et de cette si brève
formation bancaire qui lui permis de connaître la corbeille. Son
goût pour l'écriture commença par se manifester dans de brèves
nouvelles qu'il arriva à placer dans divers journaux, telle La
Valse 12 dans La Vie Populaire (n°18) du 28 février 1884
et que, beaucoup plus tard, il réunira en un volume intitulé
Mariage manqué (1888),
publié chez Flammarion. La nouvelle Le Mariage
manqué serait en fait la première qu'il aurait écrite
(Le Gaulois (n°2172), du 9 août 1888.
Son premier roman naquit dans
des circonstances assez particulières qui sont relatées d'une
manière très détaillée par Jean d'Epinay dans Le Matin
(n°6085) du mardi 23
octobre 1900, sous le titre PIERRE SALES, Les débuts d'un
romancier, chronique sur deux colonnes à la une, destinée à
présenter l'auteur en l'honneur de la publication d'un nouveau grand
roman dans le même journal et intitulé Les Habits Rouges qui
avait été annoncé depuis de nombreux jours par forces articles.
En tête des deux colonnes
centrales, un portrait de l'auteur donnait une bonne idée du
physique de celui-ci au début des années 1900 : «Il y a une
quinzaine d'année (donc environ en 1885), une famille se trouvait
réunie dans le jardin d'une villa avoisinant Paris et s'entretenait,
non sans une pointe d'inquiétude, de la grave décision que venait
de prendre un de ses membres, de quitter la voie des affaires, qu'il
avait suivi jusqu'alors pour se lancer dans la carrières des
lettres ; car, bien que le futur écrivain eût été un
audacieux et un travailleur, on ne pouvait envisager, sans de
l'angoisse même, l'inconnu vers lequel il se lançait, et où
personne ne pouvait le guider ni l'aider, puisque ni lui ni les siens
n'avait la moindre relation dans le monde littéraire. Et puis, dans
le domaine immense du Livre, du Journal, du Théâtre, vers quel but
précis se dirigerait-il ? Il avait bien fait quelques
tentatives déjà, bouts d'articles, reportages, nouvelles à la
main, même un essai de roman psychologique... mais tout cela si
vague encore, si incertain ! Une aimable vieille tante lui dit
tout à coup : - Fais donc du roman judiciaire, et tu seras lu.
Le jeune auteur hausse dédaigneusement les épaules, jugeant la
chose bien trop aisée pour lui ; et il le dit même, avec la
belle exubérance de la jeunesse qui ne doute de rien : - Mais
j'en ferai quand je voudrai ! - Essaie donc... Et tu verras que
c'est peut-être plus difficile que tu ne l'imagines. - Bah !...
Et... tenez ! A cet instant, on entendit le bruit d'un seau
tombant dans un puits, commun à la petite villa et à un jardin
voisin. - Tenez ! Un roman judiciaire ? Mais en voici un !
Et moitié rieur, moitié sérieux, il fait un pas vers le puits. -
Vous avez bien entendu ce seau ?... Ou, du moins, vous avez cru
entendre tomber le seau... Mais vous vous êtes trompés ;
c'est... c'est … Il chercha bien vingt secondes. - C'est un
cadavre... oui, un cadavre, qu'on vient... que nous venons, mon frère
et moi... ou l'un de nous seulement, ou tout autre, à qui il plaira
de nous accuser demain... Bref, c'est un cadavre qu'on vient de jeter
là, la nuit. Et c'est... c'est... Encore dix secondes de réflexion :
- Ce cadavre, c'est celui de notre oncle... que tout le monde attend
d'Amérique... ou des Indes... et donc nous ignorions l'existence, il
y a deux mois... Mais il nous a avisé de son retour, en nous
annonçant qu'il était riche et, nous deux, si unis jusqu'alors,
nous nous sommes brouillés, pour l'héritage à venir... Et, quand
on découvrira ce cadavre, ici, demain matin, nous... nous nous
accuserons mutuellement, et très injustement, puisque nous serons
aussi innocent l'un que l'autre, et que le crime aura été commis
par... par... Le conteur s'arrêta ; et voilà que, tout en
ayant l'air de le blaguer, on l'écoutait, bouche bée. - Eh, bien ?
Fit-on ! - Voilà... Diable ! Par qui le crime a-t-il été
commis ? Eh ! Je n'en sais rien !... Et, d'ailleurs,
si je le savais, ça n'aurait plus d'intérêt... puisqu'il faut que
je le découvre !... Mais ce que je sais, pertinemment, c'est
que chacun de nous a une fille... que ces filles sont aimées par
d'aimables et courageux jeunes gens, qui vont prendre notre défense,
se battre, se réconcilier... et puis... et puis découvrir le
criminel, en allant aux Indes... ou en Amérique... Et que cela se
terminera par deux mariage. Le conteur en resta là. On se moqua de
son histoire, et il fit chorus avec les moqueurs. Mais une
clairvoyante sollicitude veillait sur lui, et lui disait, le soir
même : - Savez-vous que, malgré tous les rieurs, c'est le
début d'un charmant roman que vous nous avez conté là ? -
Croyez-vous ? Et cela plairait, sûrement, aux lecteurs du
Petit-Journal. -
Tiens !... Qui sait, après tout ?... Et dans la nuit
même, le jeune auteur bâtissait son plan ; et le jour était à
peine levé, le lendemain, qu'il commençait de l'écrire. Cinq
semaine plus tard, le roman était achevé... »
Pierre
Sales porta son manuscrit, le déposa dans une case de la
conciergerie du Petit-Journal et
trois semaines plus tard, une lettre de l'éditeur Marinoni le
convoquait pour lui apprendre que son roman allait paraître dans le
journal, un mois après. Ce premier roman publié s'intitule Le
Puits mitoyen et suis
fidèlement le plan imaginé devant nous par l'auteur qui y rajouta
une seconde partie se déroulant aux Indes beaucoup plus animée et
pleine d'aventure où nos deux « détective », le mot
n'est pas prononcé, recherche le criminel et ses complices.
L'histoire se finit comme prévue par deux mariage. Le roman de
Pierre Sales se lit facilement et vaut bien par son réalisme toutes
les intrigues caviardées de nos romans policier actuels. Il paru
donc dans ce fameux Petit-Journal
(n°8087) le dimanche 15 février 1885 jusqu'au 23 mai de la même
année. L'article de Jean
d'Epinay précise
qu'il remporta « un très jolie succès malgré la
jeunesse et l’inexpérience de l'auteur». Succès confirmé par
l'édition en volume, la même année et chez Calmann-Levy.
Pierre
Sales écrivit d'autres romans judiciaires avec des intrigues plus
complexes et empreintes parfois de considérations psychologiques et
sociales importantes. Mais il fit mieux lorsqu'il publia Le
Sergent Renaud (Flammarion,
1898), ce que confirme Jean d'Epinay vers la fin de son article
« certainement l’œuvre la plus touchante que Pierre Sales
ait écrite. Ce fut ajoute-t-il une révolution dans le roman
populaire. Plus de crimes ! Plus d'horreurs ! Plus
d’invraisemblances ! La vie toute nue ; les types que
nous rencontrons chaque jour ; les moyens d'action les plus
simples ». « Le succès en fut prodigieux. Et dès lors,
Pierre Sales, entraînant l'immense public avec lui pouvait lui
donner tout autant des études que des romans, le promenant dans tous
les mondes, dans toutes les industries, faisant la campagne du Tonkin
avec Viviane (Le
Petit Parisien, 1890), descendant dans les mines d'Anzin, avec
Miracle d'Amour (Le
Bon Journal, 1894), parcourant les usines, les filatures du Nord avec
L'Enfant du Péché
(Le Petit Parisien, 1896) ,
les tissages de Normandie avec Femme et Maîtresse (Le
Petit Parisien, 1892), courant à la folie du Carnaval de Nice avec
Le Corso Rouge (Le
Petit Parisien, 1892-1893), et tout récemment faisant vivre tout le
Transvaal et la fièvre des mines d'or à Paris, avec La
Course aux Millions (publié
dans le Petit Parisien sous le titre La Mariquita,
1897, le titre global donné plus tard par Flammarion et Fayard
sera La Course aux Millions)... »
Charles Moreau
21 août 2013
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