LE GLAIVE ET L'INITIE
Baudouin Chailley a l'art de circuler dans le temps avec
l'aisance d'un voyageur temporel éclairé. Après les périodes
historiques des convulsions de notre monde moderne, après le Canada
de la colonisation et de la déportation, c'est au tour, à présent,
dans ce volume de plus de 560 pages (Editions Baudelaire), d'une
époque encore plus lointaine, celle des Templiers. Mais dans ce
roman brillant et plein d'humanisme, ce n'est pas leur chute
historique qui est évoquée en détail comme dans Les Rois
Maudits de Maurice Druon, ni les relations de cet ordre très
puissant avec un pouvoir occulte mais le parcours d'un homme au cœur
d'un désastre prévisible. C'est parce qu'il a voulu revoir les
siens en revenant lors d'une mission – ramener des chevaux à
Saint-Jean-d'Acre, la dernière citadelle de la Chrétienté – que
Philibert de Bréchiniac, un Templier sera maudit par son père,
Thibert, qui voulait son retour définitif pour lui succéder dans
la forteresse de Malaïgues près du village de Mirandole, et qu'il
retournera dans le dernier bastion de la Terre Sainte, en compagnie
de fidèles compagnons et d'un jeune homme, Thibault de Fierbois, un
rêveur inconscient tenté par l'aventure. Nul mieux que Baudouin
Chailley ne sait évoquer Saint-Jean-d'Acre et la fascination que ce
monde grouillant du mélange des peuples et des cultures suscite et
chez Philibert et surtout chez son jeune compagnon Thibault qui le
suit pas à pas. C'est que Philibert a des liens anciens et profonds
avec cet univers qu'il aime et où il a déjà laissé une partie de
son âme et de sa chair, c'est aussi parce qu'il a sauvé de la mort
un adversaire dont il ignore la puissance et le combat qu'il
n'assistera pas à la fin d'Acre. Il sera un témoin de la fin d'une
terrifiante aventure marquant l'échec du rapprochement des peuples
et des races lorsqu'il reviendra dans le monde étroit et en crise du
règne de Philippe le Bel en terre de France. Le Temple réalisera la
prédiction du Sarrasin en donnant une mission à Philibert qui sera
entraîné de Chypre jusqu'aux frontières des Pyrénées ainsi que
ses proches et ses ennemis. Dès lors, c'est une épuisante course
poursuite pour échapper aux sbires du roi de France et retrouver la
fin de son parcours tel qu'il a été tracé par ses supérieurs. Et
lorsque plus apaisé, il franchira les mers pour gagner l'Ecosse, il
devra prendre parti en tant que chef de guerre expérimenté dans un
dernier combat qui n'est pas le sien mais qui lui permettra de se
réaliser et de découvrir un nouvel idéal. Un captivant roman d'un
des meilleurs romanciers du Fleuve Noir.
Charles Moreau
Copyright 2012
( Baudouin Chailley et son épouse le 18-11-2012
à l'exposition réalisée pour le salon du livre ancien
de Pernes-les-Fontaines )
de Pernes-les-Fontaines )
BAUDOUIN
CHAILLEY
INTERVIEW
Q. : Pourquoi
avoir écrit Le Glaive et l'Initié
(Editions Baudelaire), ce gros roman qui retrace à la fin de
l'époque des croisades ainsi que la vie et le cheminement d'un
Templier ?
R. B.
C. : Je voulais parler de ce que
l’on évoque rarement: l’agonie programmée du Temple et surtout
démystifier tout ce fatras de légendes où le Templier est montré
tour à tour comme uniquement attiré vers les richesses, comme un
fou de Dieu, comme un guerrier d’élite, voire comme un traître à
son roi (Ce qu’il n’a jamais été – N’était-ce pas le
Temple qui a payé la rançon de Saint Louis qui pourtant ne le
portait pas en son cœur?) A contrario, l’immense majorité d’entre
eux avaient accepté de renoncer au bien être (relatif) auquel leur
naissance pouvait les amener à prétendre (Les Templiers étaient
obligatoirement nobles) C’était aussi des hommes, avec des
problèmes d’hommes. Il faut signaler aussi que la milice du Temple
à ses débuts était très différente du Temple à sa fin quoique
la majorité des Templiers ‘’de base’’ soient
incontestablement restés fidèles à leur idéal. Voir pour cela les
compte rendus des interrogatoires menés dans les geôles du roi
PHILIPPE IV.
Q. : Etait-ce
pour démystifier le bruit et le tintamarre qu'on fait à notre
époque autour de l'or des Templiers que rechercha en vain le roi
de France Philippe le Bel et la survie de leurs idées, ou pour
retracer seulement une vie humaine dans un siècle troublé qui
annonce une guerre de Cent ans ?
B. C. : L’ordre des Templiers (et beaucoup
d’autres) fut créé pour défendre les lieux saints. Ces lieux
saints une fois perdus, ils n’avaient historiquement plus aucune
raison d’être. J’ai voulu retracer l’histoire d’un homme,
petit nobliau en sa province (Il fallait bien en passer par là) et
qui a vécu – à son modeste niveau – la fin tragique du Temple
(En France) Abandonné du Pape comme du Roy, il devint un ‘’soldat
perdu’’ de l’époque, cherchant désespérément une issue pour
échapper à une situation sans espoir. Quant à l’or des
Templiers, on a beaucoup glosé là-dessus. Lorsque Philippe le Bel
lança sa police et son armée contre la milice du Temple, il y avait
belle lurette que les réserves monétaires de l’Ordre avaient été
dispersées dans différentes directions (Et généralement hors du
royaume) On ne monte pas une opération d’une telle ampleur sans
qu’il y ait quelques fuites. Il faut aussi songer que la fortune
des Templiers étaient surtout faite de biens immobiliers. Quant au
soi disant ‘’secret des Templiers’’, il touche à un tout
autre domaine.
Q. :
Philibert de Bréchignac a-t-il un modèle historique ? Quelle a
été votre documentation pour écrire cet épais et magnifique
roman de plus de cinq cents pages ?
B. C. :
Cette période est très peu connue. On préfère parler du Temple
comme une sorte d’ordre Noir confit d’ésotérisme fumeux, d’un
état dans l’état insupportable pour le roi de France ou de Zorro
médiévaux ne cherchant que plaies et bosses. C’est vite oublier
qu’ils avaient été les premiers à envisager que l’islam et la
chrétienté pouvaient cohabiter pacifiquement peut-être pas mais se
respecter mutuellement. Le roi Saint Louis, un fou de Dieu, a
torpillé ces désirs et ces illusions. Les croisés, il faut le dire
aussi, n’allaient pas tant en terre sainte pour défendre le
tombeau du Christ que pour s’y créer des royaumes pour les plus
hauts placés ou se livrer aux pillages pour les autres. Par ailleurs
la conduite des armées qu’elles soient française, anglaises ou
autre n’était pas exactement un modèle du genre.
Q. :
Considérez-vous à la fin de votre roman que Philibert de Bréchignac
votre personnage central a atteint sa pleine réalisation en se
frottant à deux mondes importants de l'époque où les hommes
partaient se battre pour leur croyance contre les tenants d'une autre
croyance ?
B. C. :Oui. Cet homme a tout connu de ce que la vie
pouvait lui offrir. Il avait trouvé l’amour en une femme que tout
séparait de lui. Il a été honnête avec elle et apprécié des
ennemis d’alors pour cela; il a vu la rapacité, la cruauté des
deux camps, l’attirance effrénée vers le commerce des richesses;
il avait en face de lui, au fur et à mesure qu’avançait sa vie,
le spectacle du monde bouleversé tel qu’il était et qui n’avait
rien à voir avec les chansons de gestes de son adolescence ce qui
l’a, à l’inverses de beaucoup, conduit vers la tolérance. Ni
l’islam , ni le catharisme n’était sa religion, mais il les
respectait toutes deux ; son ennemi était les fous de Dieu, les
ordonnateurs de bûchers, les massacreurs de tout poil qui ne se
servait de Dieu que pour excuser et assouvir leurs passions
perverses. C’est en Ecosse, là où il retrouva bon nombre de ses
compagnons réfugiés qu’il découvrit une forme de pensée qui
jusqu’alors lui avait été inconnue.
Q. : Vous posez aussi le problème des hérésies ?
Pourquoi ont-elles tant surgis à l'époque des croisades ?
B. C. : Les hérésies n’ont pas surgi par un
hasard (qui n’existe pas: tout effet à une cause, qui elle-même
en a une autre jusqu’à la cause première) Les hérésies sont
incontestablement nées de l’attitude du clergé de Rome et la
répression a été d’autant plus impitoyable que celui-ci voyait
d’un très mauvais œil tout ce qui pouvait toucher aux dogmes ou
lui faire perdre prébendes et prérogatives. Toutes les hérésies
n’ont jamais été qu’une réaction contre l’ordre établi et
dévoyé.
Q. : L'amour
bien que peu apparent dans cette œuvre semble la dominer sous toutes
ses formes (mariage et compréhension en face des autres) pourquoi
cette expression en demi-teinte ?
R. : Oui,
Philibert a connu l’amour. Tout au long de sa vie il a adoré celle
qui avait été sa femme, mais il a aimé aussi ses camarades de
combat et plus tard ceux qu’il appelait ‘’ses gens’’,
hommes attachés à la glèbe et dont la seule préoccupation était
de réussir à nourrir leur famille. Philibert, au fil des ans, à
transcendé son amour en l’élargissant peu à peu pour lui donner
une dimension universelle (Philosophie qu’il entrevoyait pour la
première fois lors de ses balbutiements en Ecosse)
Q. :
Pourquoi avoir évité l'affrontement final des croisades à
Saint-Jean d'Acre et ne pas avoir raconté le siège d'une
manière détaillée ? Est-ce parce qu'il est le début de la fin
pour les croisés et les Templiers ?
B. C. : Ce
roman n’est pas un roman épique. Il est bien plus que cela. La
chute de Saint Jean d’Acre était inéluctable. L’Europe se
désintéressait de son ultime possession. Les Templiers (Les
Hospitaliers et tous les autres) se battirent avec la dernière
énergie et succombèrent sous le nombre de leurs assaillants. Non,
je n’ai pas voulu raconter un fort Alamo de plus. Le livre n’en
avait pas besoin et il fallait que mon héros survive pour pouvoir
continuer évoluer vers l’apaisement né de la tolérance acquise
au fil des épreuves.
Q :
Philibert de Bréchignac est-il à la recherche d'un monde nouveau ?
Ou bien un maudit rejoint par la barbarie d'une époque qui le
conduit à toujours se battre pour défendre ce en quoi il croit
véritablement.
B. C. : Au
départ il n’est qu’un homme balloté comme tout un chacun par
les expériences qu’il vit, ce qu’il voit, les souffrance d’un
amour tragique. Peu à peu il apprend à ‘’à se faire ‘’homme
doué de raison’’ (En non juge) Dés lors, il pose sur le monde
brutal de l’époque un regard ‘’extérieur’’. Il reste
fidèle au Temple qui l’a créé; il ne juge pas.
Pardonne-t-il les excès de ceux qui ont la violence pour religion?
Je ne le pense pas car il n’a pas été formé pour ça (Voir
l’épisode Gauthier de MAUVERT) Mais il agit sans haine
contrairement à beaucoup. Il observe sans juger le spectacle du
monde de son époque.
Q. : Vous
utilisez souvent et jusqu'à la fin le retour en arrière pour
expliquer les conséquences de certaines scènes d'action :
est-ce que cela vous permet de faire avancer votre histoire plus
facilement ?
B. C. : Je
ne saurai dire: l’histoire
m’est venue comme ça. Ensuite plusieurs histoires s’interpénètrent
ce qui m’a obligé à faire des ‘’flash back’’ et puis il
est toujours utile de rappeler les causes d’une action annexe au
corps principal de l’histoire.
Q. :
Aborderez-vous d'autres romans historiques prochainement ?
B. C. : Sûrement.
ROME peut-être… La colonisation romaine, ses déboires et sa
décadence m’attirent. Mais rien n’est fixé. J’y pense