mercredi 2 janvier 2013

BEAUDOUIN CHAILLEY CRITIQUE ET INTERVIEW

 
LE GLAIVE ET L'INITIE
Baudouin Chailley a l'art de circuler dans le temps avec l'aisance d'un voyageur temporel éclairé. Après les périodes historiques des convulsions de notre monde moderne, après le Canada de la colonisation et de la déportation, c'est au tour, à présent, dans ce volume de plus de 560 pages (Editions Baudelaire), d'une époque encore plus lointaine, celle des Templiers. Mais dans ce roman brillant et plein d'humanisme, ce n'est pas leur chute historique qui est évoquée en détail comme dans Les Rois Maudits de Maurice Druon, ni les relations de cet ordre très puissant avec un pouvoir occulte mais le parcours d'un homme au cœur d'un désastre prévisible. C'est parce qu'il a voulu revoir les siens en revenant lors d'une mission – ramener des chevaux à Saint-Jean-d'Acre, la dernière citadelle de la Chrétienté – que Philibert de Bréchiniac, un Templier sera maudit par son père, Thibert, qui voulait son retour définitif pour lui succéder dans la forteresse de Malaïgues près du village de Mirandole, et qu'il retournera dans le dernier bastion de la Terre Sainte, en compagnie de fidèles compagnons et d'un jeune homme, Thibault de Fierbois, un rêveur inconscient tenté par l'aventure. Nul mieux que Baudouin Chailley ne sait évoquer Saint-Jean-d'Acre et la fascination que ce monde grouillant du mélange des peuples et des cultures suscite et chez Philibert et surtout chez son jeune compagnon Thibault qui le suit pas à pas. C'est que Philibert a des liens anciens et profonds avec cet univers qu'il aime et où il a déjà laissé une partie de son âme et de sa chair, c'est aussi parce qu'il a sauvé de la mort un adversaire dont il ignore la puissance et le combat qu'il n'assistera pas à la fin d'Acre. Il sera un témoin de la fin d'une terrifiante aventure marquant l'échec du rapprochement des peuples et des races lorsqu'il reviendra dans le monde étroit et en crise du règne de Philippe le Bel en terre de France. Le Temple réalisera la prédiction du Sarrasin en donnant une mission à Philibert qui sera entraîné de Chypre jusqu'aux frontières des Pyrénées ainsi que ses proches et ses ennemis. Dès lors, c'est une épuisante course poursuite pour échapper aux sbires du roi de France et retrouver la fin de son parcours tel qu'il a été tracé par ses supérieurs. Et lorsque plus apaisé, il franchira les mers pour gagner l'Ecosse, il devra prendre parti en tant que chef de guerre expérimenté dans un dernier combat qui n'est pas le sien mais qui lui permettra de se réaliser et de découvrir un nouvel idéal. Un captivant roman d'un des meilleurs romanciers du Fleuve Noir.
Charles Moreau
Copyright 2012

    ( Baudouin Chailley et son épouse le 18-11-2012
       à l'exposition réalisée pour le salon du livre ancien
de Pernes-les-Fontaines )


BAUDOUIN CHAILLEY
INTERVIEW

Q. : Pourquoi avoir écrit Le Glaive et l'Initié (Editions Baudelaire), ce gros roman qui retrace à la fin de l'époque des croisades ainsi que la vie et le cheminement d'un Templier ?
R. B. C. : Je voulais parler de ce que l’on évoque rarement: l’agonie programmée du Temple et surtout démystifier tout ce fatras de légendes où le Templier est montré tour à tour comme uniquement attiré vers les richesses, comme un fou de Dieu, comme un guerrier d’élite, voire comme un traître à son roi (Ce qu’il n’a jamais été – N’était-ce pas le Temple qui a payé la rançon de Saint Louis qui pourtant ne le portait pas en son cœur?) A contrario, l’immense majorité d’entre eux avaient accepté de renoncer au bien être (relatif) auquel leur naissance pouvait les amener à prétendre (Les Templiers étaient obligatoirement nobles) C’était aussi des hommes, avec des problèmes d’hommes. Il faut signaler aussi que la milice du Temple à ses débuts était très différente du Temple à sa fin quoique la majorité des Templiers ‘’de base’’ soient incontestablement restés fidèles à leur idéal. Voir pour cela les compte rendus des interrogatoires menés dans les geôles du roi PHILIPPE IV.

Q. : Etait-ce pour démystifier le bruit et le tintamarre qu'on fait à notre époque autour de l'or des Templiers que rechercha en vain le roi de France Philippe le Bel et la survie de leurs idées, ou pour retracer seulement une vie humaine dans un siècle troublé qui annonce une guerre de Cent ans ?
B. C. : L’ordre des Templiers (et beaucoup d’autres) fut créé pour défendre les lieux saints. Ces lieux saints une fois perdus, ils n’avaient historiquement plus aucune raison d’être. J’ai voulu retracer l’histoire d’un homme, petit nobliau en sa province (Il fallait bien en passer par là) et qui a vécu – à son modeste niveau – la fin tragique du Temple (En France) Abandonné du Pape comme du Roy, il devint un ‘’soldat perdu’’ de l’époque, cherchant désespérément une issue pour échapper à une situation sans espoir. Quant à l’or des Templiers, on a beaucoup glosé là-dessus. Lorsque Philippe le Bel lança sa police et son armée contre la milice du Temple, il y avait belle lurette que les réserves monétaires de l’Ordre avaient été dispersées dans différentes directions (Et généralement hors du royaume) On ne monte pas une opération d’une telle ampleur sans qu’il y ait quelques fuites. Il faut aussi songer que la fortune des Templiers étaient surtout faite de biens immobiliers. Quant au soi disant ‘’secret des Templiers’’, il touche à un tout autre domaine.

Q. : Philibert de Bréchignac a-t-il un modèle historique ? Quelle a été votre documentation pour écrire cet épais et magnifique roman de plus de cinq cents pages ?
B. C. : Cette période est très peu connue. On préfère parler du Temple comme une sorte d’ordre Noir confit d’ésotérisme fumeux, d’un état dans l’état insupportable pour le roi de France ou de Zorro médiévaux ne cherchant que plaies et bosses. C’est vite oublier qu’ils avaient été les premiers à envisager que l’islam et la chrétienté pouvaient cohabiter pacifiquement peut-être pas mais se respecter mutuellement. Le roi Saint Louis, un fou de Dieu, a torpillé ces désirs et ces illusions. Les croisés, il faut le dire aussi, n’allaient pas tant en terre sainte pour défendre le tombeau du Christ que pour s’y créer des royaumes pour les plus hauts placés ou se livrer aux pillages pour les autres. Par ailleurs la conduite des armées qu’elles soient française, anglaises ou autre n’était pas exactement un modèle du genre.

Q. : Considérez-vous à la fin de votre roman que Philibert de Bréchignac votre personnage central a atteint sa pleine réalisation en se frottant à deux mondes importants de l'époque où les hommes partaient se battre pour leur croyance contre les tenants d'une autre croyance ?
B. C. :Oui. Cet homme a tout connu de ce que la vie pouvait lui offrir. Il avait trouvé l’amour en une femme que tout séparait de lui. Il a été honnête avec elle et apprécié des ennemis d’alors pour cela; il a vu la rapacité, la cruauté des deux camps, l’attirance effrénée vers le commerce des richesses; il avait en face de lui, au fur et à mesure qu’avançait sa vie, le spectacle du monde bouleversé tel qu’il était et qui n’avait rien à voir avec les chansons de gestes de son adolescence ce qui l’a, à l’inverses de beaucoup, conduit vers la tolérance. Ni l’islam , ni le catharisme n’était sa religion, mais il les respectait toutes deux ; son ennemi était les fous de Dieu, les ordonnateurs de bûchers, les massacreurs de tout poil qui ne se servait de Dieu que pour excuser et assouvir leurs passions perverses. C’est en Ecosse, là où il retrouva bon nombre de ses compagnons réfugiés qu’il découvrit une forme de pensée qui jusqu’alors lui avait été inconnue.

Q. : Vous posez aussi le problème des hérésies ? Pourquoi ont-elles tant surgis à l'époque des croisades ?
B. C. : Les hérésies n’ont pas surgi par un hasard (qui n’existe pas: tout effet à une cause, qui elle-même en a une autre jusqu’à la cause première) Les hérésies sont incontestablement nées de l’attitude du clergé de Rome et la répression a été d’autant plus impitoyable que celui-ci voyait d’un très mauvais œil tout ce qui pouvait toucher aux dogmes ou lui faire perdre prébendes et prérogatives. Toutes les hérésies n’ont jamais été qu’une réaction contre l’ordre établi et dévoyé.

Q. : L'amour bien que peu apparent dans cette œuvre semble la dominer sous toutes ses formes (mariage et compréhension en face des autres) pourquoi cette expression en demi-teinte ?
R. : Oui, Philibert a connu l’amour. Tout au long de sa vie il a adoré celle qui avait été sa femme, mais il a aimé aussi ses camarades de combat et plus tard ceux qu’il appelait ‘’ses gens’’, hommes attachés à la glèbe et dont la seule préoccupation était de réussir à nourrir leur famille. Philibert, au fil des ans, à transcendé son amour en l’élargissant peu à peu pour lui donner une dimension universelle (Philosophie qu’il entrevoyait pour la première fois lors de ses balbutiements en Ecosse)

Q. : Pourquoi avoir évité l'affrontement final des croisades à Saint-Jean d'Acre et ne pas avoir raconté le siège d'une manière détaillée ? Est-ce parce qu'il est le début de la fin pour les croisés et les Templiers ?
B. C. : Ce roman n’est pas un roman épique. Il est bien plus que cela. La chute de Saint Jean d’Acre était inéluctable. L’Europe se désintéressait de son ultime possession. Les Templiers (Les Hospitaliers et tous les autres) se battirent avec la dernière énergie et succombèrent sous le nombre de leurs assaillants. Non, je n’ai pas voulu raconter un fort Alamo de plus. Le livre n’en avait pas besoin et il fallait que mon héros survive pour pouvoir continuer évoluer vers l’apaisement né de la tolérance acquise au fil des épreuves.

Q : Philibert de Bréchignac est-il à la recherche d'un monde nouveau ? Ou bien un maudit rejoint par la barbarie d'une époque qui le conduit à toujours se battre pour défendre ce en quoi il croit véritablement.
B. C. : Au départ il n’est qu’un homme balloté comme tout un chacun par les expériences qu’il vit, ce qu’il voit, les souffrance d’un amour tragique. Peu à peu il apprend à ‘’à se faire ‘’homme doué de raison’’ (En non juge) Dés lors, il pose sur le monde brutal de l’époque un regard ‘’extérieur’’. Il reste fidèle au Temple qui l’a créé; il ne juge pas. Pardonne-t-il les excès de ceux qui ont la violence pour religion? Je ne le pense pas car il n’a pas été formé pour ça (Voir l’épisode Gauthier de MAUVERT) Mais il agit sans haine contrairement à beaucoup. Il observe sans juger le spectacle du monde de son époque.

Q. : Vous utilisez souvent et jusqu'à la fin le retour en arrière pour expliquer les conséquences de certaines scènes d'action : est-ce que cela vous permet de faire avancer votre histoire plus facilement ?
B. C. : Je ne saurai dire: l’histoire m’est venue comme ça. Ensuite plusieurs histoires s’interpénètrent ce qui m’a obligé à faire des ‘’flash back’’ et puis il est toujours utile de rappeler les causes d’une action annexe au corps principal de l’histoire.

Q. : Aborderez-vous d'autres romans historiques prochainement ?
B. C. : Sûrement. ROME peut-être… La colonisation romaine, ses déboires et sa décadence m’attirent. Mais rien n’est fixé. J’y pense



Charles Moreau et Baudouin Chailley
Copyright décembre 2012