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mercredi 7 novembre 2012

RINO FERRARI


ENTRETIEN AVEC RINO FERRARI
(Réalisé le 20 Mai 1980 de 15 H à 16H45)

(Autoportrait de Rino Ferrari, 1946)

J’ai rencontré le dessinateur Rino Ferrari à Paris au mois de mai 1980 dans son appartement situé au 5e étage d’un bel immeuble du 94, rue Jouffroy, dans le 17e Arrondissement.
Je lui avais écris les 9 et 13 mai en lui demandant de le rencontrer et en lui adressant un questionnaire qui tournait autour du journal Radar dont les superbes « unes » faites au lavis en noir et blanc et en quadrichromie me fascinaient beaucoup. Il y avait un tel coup de main et une telle expérience dans le dessin qu’on ne pouvait pas le quitter des yeux. Chaque œuvre était inédite et donnait de la réalité un aspect différent. Il y avait aussi une maitrise totale de l’anatomie et de la perspective dans chacune des illustrations. Et ces deux techniques étaient sans faille chez l’artiste d’une illustration à l’autre, d’un lavis à l’autre, que ce soit dans le fait divers ou dans la bande dessinée qu’il illustrait avec un charme et une vigueur toute particulière.



Rino Ferrari était alors en Italie et mon premier coup de téléphone chez lui me trouva en présence de la gardienne de l’appartement qui me permit de lui écrire dans son pays d’origine en me communiquant son adresse. Lorsque je me présentais à son appartement, je remarquais en la franchissant la lourde porte blindée qui protégeait son appartement. Il m’accueillit simplement et me présenta son épouse Giulia. Je lui demandais si je pouvais réaliser l’entretien en l’enregistrant. Il secoua la tête et ajouta que je ne pouvais pas prendre de notes. Ça n’allait pas être facile et je ne m’attendais pas, moi qui avais fait pas mal d’enregistrements d’écrivains, à me trouver devant pareil problème. Aujourd’hui, encore, je le regrette car je ne me souviens plus du détail de sa voix.
C’est donc à ma mémoire de l’époque qui était meilleure que celle d’à présent et aux notes que je m’empressais de transposer sur le papier immédiatement en rentrant à mon hôtel que l’on doit cet entretien.
Rino Ferrari était un homme puissant qui avait dans les soixante dix ans à l’époque et son regard, encore direct, était très scrutateur même derrière ses lunettes. Ses cheveux coiffés vers l’arrière dégageaient un front imposant et léonin. Il était au sommet de son art. Son épouse très avenante, Giulia, qui avait tout de la mater italienne contribua beaucoup à détendre l’atmosphère. En fait, je crois que Rino Ferrari n’aimais pas beaucoup les journalistes et même le contact avec les curieux de son œuvre comme je l’étais. J’entrepris studieusement de commencer à lui poser les questions que j’avais bien préparées sur Radar, questions que je lui avais d’ailleurs envoyées et sur son travail pour les journaux, lorsqu’il m’arrêta et me déclara que son vrai métier était peintre sculpteur et qu’il avait été formé depuis 1933 à la discipline de sculpteur par ses maîtres italiens, lorsqu’il était étudiant aux Beaux Arts à Milan, en Italie. L’un de ceux-ci d’ailleurs habitait sur le même palier que lui.



Les illustrations pour Radar et les autres revues auxquelles il avait participé pendant de longues années depuis son arrivée en France n’étaient qu’un pis-aller mais ne procédaient pas de la profondeur de son œuvre qui était bien sûr ailleurs dans la sculpture dont il avait fait dès sa jeunesse son ambition. Ainsi l’homme que j’admirais se révélait assez différent de celui que j’avais imaginé. Et si sur un plan ma déception était grande, je finis par découvrir par la suite qu’il était plus qu’un simple dessinateur de tranches de faits divers dans de terribles réalités pour Radar ou de représentations merveilleuses de l’amour que se vouaient les jeunes gens en se faisant les promesses du mariage, dans le magazine féminin Rêves. En fait, en y réfléchissant bien maintenant, ces réalités étaient présentes dans son œuvre majeure mais sous une haute forme de sophistication et à travers un moyen d’expression bien différent.
L’illustration, il l’avait pratiquée de 1945 à 1949 en Italie pour l’hebdomadaire, La Domenica del Corriere. En effet, à la chute du fascisme, l’illustrateur titulaire depuis 1941 du grand journal était Walter Molino qui fut accusé d’avoir frayé avec les autorités fascistes et mis en prison. Le journal alors appela Rino Ferrari, qui était un homme neuf, peu marqué auprès des politiques et qui avait lutté dans la Résistance italienne. La direction lui confia alors la première page de la Domenica, tandis qu’Achille Beltrame, un autre grand dessinateur, faisait la dernière page de l’hebdomadaire.
Fin 1948, ayant amassé un petit pécule pour partir aux Etats-Unis, il entreprit d’abord de faire un voyage dans les capitales européennes de l’art. Il commença par Paris puis se dirigea vers la Belgique et les Pays-Bas. Il revint à PARIS et là faute d’argent suffisant pour payer son voyage en Amérique, il se fit engager au début de 1949, par un éditeur français qui cherchait un excellent illustrateur pour un grand journal qu’il venait de lancer, c’était Radar.



Il ne fait nul doute que le travail de Rino Ferrari intéressa au plus haut point André Beyler, assez peu satisfait d’un précédant illustrateur au style sans relief. Il signa donc à Ferrari un contrat avantageux, ce qui n’était pas toujours le cas avec tous ses journalistes. Il débuta donc à partir du numéro 24 du 24 juillet 1949. La scène s’intitulait « S.O.S Bagarre à bord de l’avion ». Il faut reconnaître que le C.46 plongeant vers une colline avec ses passagers hurlants à la suite d’une bagarre hystérique déclenchée par un passager est extraordinaire de vérité. Dans le même temps, il continuait son travail pour La Domenica Del Corriere.
Comme je lui demandai combien de temps, il lui fallait pour réaliser un lavis d’une grande page pour Radar, il me déclara qu’il lui fallait de cinq à six heures pour le terminer et le remettre au porteur cycliste qui le livrait au journal, situé au 8, boulevard Poissonnière. A ce moment-là, Giulia Ferrari qui vouait à son mari une grande admiration interrompit la conversation et entreprit de raconter une petite anecdote montrant la compréhension et la bonté de son époux. Du temps où il travaillait pour Radar, un garçon coursier venant de prendre livraison de sa planche la perdit en chemin. Affolé parce qu’il allait être renvoyé, il revint raconter à Rino Ferrari ce qu’il lui était arrivé. Bien lui en prit car Rino Ferrari intervint pour que le garçon ne soit pas puni et pour faire taire le rédacteur en chef, il exécuta de nouveau en cinq heures, le même travail pour que l’édition tombe en temps voulu. Poursuivant la conversation au sujet de la une de Radar, Rino Ferrari me dit que c’était un travail dur, une discipline à laquelle il lui avait fallu s’adapter car il fallait tout connaître et que tout soit précis jusque dans le moindre détail. Cela nécessitait donc une documentation immédiate et sans faille. Il fallait que cela soit fait avec scrupule et méthode pour aboutir à un lavis parfait. On le voit les journées de Rino Ferrari étaient bien pleines si l’on considère qu’il passait 5 à 6 autres heures pour faire la une de la Domenica del Corriere. Et cela n’était rien, car lorsqu’Andréas Rosemberg (un dessinateur qui devait devenir célèbre par son travail sur la Légion étrangère) qui travaillait sur la bande dessinée d’une pleine page dans le journal se désista, Ferrari s’en chargea à partir du numéro 35 du 9 octobre 1949. C’était une aventure maritime, pleine d’action, sur un scénario de G. Constant, intitulé : « Le Destin est à bord ».



À partir de ce moment-là, Rino Ferrari deviendra la véritable cheville ouvrière du succès de l’hebdomadaire. Son style très réaliste basé sur une documentation extrêmement précise est un véritable panoramique d’un drame définitif. Cette fascination pour le dessin de Rino Ferrari touchait tout le monde. Et lorsque je parle du journal et de son illustrateur à mes amis ou aux membres de ma famille, ils savent tous de quoi il retourne. Pour ce qui est des bandes dessinées si l’on tient compte de ce qui se faisait à l’époque on peut dire que leur mise en page était recherchée et presque hors de l’ordinaire puisque l’illustrateur pulvérisait le cadre traditionnel de la bande dessinée à chaque fois d’une manière différente.
Hier, tombant chez Virgin sur un dictionnaire de la bande dessinée tout récent, j’ai cherché en vain le nom de Ferrari. Il est vrai qu’à l’époque on ne vendait pas d’albums à la pelle…
Mais le travail ne manquait pas aux Editions Nuit et jour. André Beyler lui confia aussi la une du journal féminin Rêves avec des dessins conçus dans un tout autre esprit que celui de Radar. Le travail de Rino Ferrari donna d’une manière éclatante, toute la fraicheur attendue pour ce magazine. L’idée était de mettre en scène un éternel couple de jeunes tourtereaux habillés de vêtements à la mode de l’époque et Rino Ferrari le fit de 1952 à 1955 presque sans interruption chaque semaine.

Il me parla un peu d’André Beyler et reconnut que son patron était devenu très riche et qu’il avait acquis un immeuble tout entier au 14 boulevard de la Madeleine où il réinstalla sa maison d’édition. Il ajouta qu’il avait autour de lui une petite cour de flatteurs qui voulurent le lancer dans la politique et lui firent transformer l’aspect du journal. A partir de ce moment-là, Rino Ferrari se sentit libre de quitter Radar, ce qui se fit progressivement, et de travailler pour un autre éditeur.
Son talent avait fini d’ailleurs par attirer l’attention d’un grand amateur de bandes dessinées, un italien installé comme Ferrari, en France, l’éditeur Cino Del Duca qui ne l’oubliera pas quand Radar sera sur son déclin à la fin des années 50 et que le journal changera de formule et de format. Il proposera à Ferrari de travailler pour lui et lui ouvrira les portes de tous ses journaux. Il lui demandera d’illustrer dès 1959, le journal Lui qu’il venait de lancer (rien à voir avec le journal homonyme qui basera beaucoup plus tard son succès sur ses pin-up à la une) en lui fournissant les deux couvertures de ce journal qui hélas fut éphémère, il exécutera environ une trentaine de superbes couvertures, il lui accordera aussi une page dans l’hebdomadaire Nous Deux où il dessinera des faits divers plus légers que ceux de Radar, sous une rubrique intitulée « C’est arrivé, hier », encore en 1959, et enfin, il lui demandera d’illustrer des Contes pour enfants, tel que Le Petit Poucet et les Contes de Perrault que les jeunes français découvriront quelques mois après les petits italiens dans les superbes albums des Editions Fabbri et plus tard encore dans les volumes des Editions de Paris.



Enfin, toujours vers la fin de l’année 1961, Rino Ferrari aura aussi ses entrées dans le le quotidien Paris Jour du grand éditeur avec ses bandes dessinées verticales dans une série historique sans titre précis mais consacré à des destins plus ou moins tragiques de femmes amoureuses.
Cependant, Rino Ferrari reconnut à propos de Cino Del Duca que bien qu’il fut très généreux puisqu’il était très riche, il pouvait avoir un tas d’idées et en changer souvent, ce qui l’amenait à demander des modifications alors que le travail était terminé. Ce qui me fit penser que les relations entre les deux hommes n’avaient pas été toujours au beau fixe. Sur sa manière de travailler, Rino Ferrari déclara aussi qu’il y avait vraiment un phénomène à étudier dans la création artistique, par exemple, quand il imaginait la scène qu’il avait à illustrer, il devait la voir d’une manière floue jusqu’à ce qu’elle se précise avec de plus en plus de netteté et jusqu’à ce qu’il soit en mesure d’exécuter le travail en toute liberté. Toujours au sujet de son travail, il précisa qu’il se documentait d’une manière très précise et son épouse, artiste elle aussi, l’aidait en cherchant les modèles de voiture de l’époque ou les avions ou les monuments quand cela était nécessaire. Ce qui l’avait conduit à avoir une documentation énorme et à acheter toutes sortes de livres afin d’avoir le plus grand nombre de détail. Il travaillait avec des photographies quand il y en avait pour reconstituer un fait divers et en dernier ressort avec son imagination quand il n’y avait pas de documentation.



Il me cita en exemple la double page du couronnement de la reine d’Angleterre (n° 226 du 7 juin 1953). Il se rendit avec toute l’équipe du journal en Grande Bretagne. Il obtint une autorisation pour faire des esquisses des joyaux du couronnement d’Elisabeth d’Angleterre. Le tirage de ce journal parvint à atteindre le million !
Mais, en cette année 1980, Rino Ferrari me confirme qu’il ne travaille plus pour l’illustration. Il sculpte et travaille sur des bijoux et des médailles qu’il vend dans tous les pays du nord de l’Europe et pour l’Allemagne.
Une explication me fut fournie par Rino Ferrari à propos de la fin de son travail d’illustrateur pour les journaux de la Presse et sur sa décision de s’en retirer. Il s’était arrêté pour se lancer dans un travail très prenant qui lui demanda quatre années de 1964 à 1967 pour réaliser quatre grandes illustrations de L’Enfer de la Divine Comédie de Dante. Une grande partie de cette œuvre fut exécuté avec un pinceau plus fin qu’une plume. Il travaillait à la loupe sur des têtes pas plus grande qu’un cm. Il fallait faire les ombres portées de manière à ce que soit à l’agrandissement, soit à la réduction, le moindre détail soit reproduit avec la plus grande netteté.
Récemment, un grand éditeur français de Nice lui avait demandé d’illustrer pour une édition d’art une œuvre considérable de Victor Hugo, La Légende des Siècles, publiée en trois gros volumes.
Le Cabinet des médailles français lui avait demandé aussi d’exécuter des médailles commémoratives. En fait, il travaillait aussi bien à la réalisation de bijoux parfois à caractère religieux (tel ce Tau qu’il a fait pour le Cabinet du Quai Conti) qu’à caractère profane (tel ce pendentif représentant le signe du Sagittaire) pour un grand joailler Danois. Il a aussi travaillé sur des médailles pour la Suisse.
En cette année 1980, Rino Ferrari était parvenu au sommet de son art et dans les quelques six années qui lui restaient à vivre, il devait produire beaucoup dans le domaine qui lui est cher.
Je n’ai pas abordé dans cette interview un autre aspect de son travail pour les éditeurs de bandes dessinées, notamment pour les Editions Impéria, pour lesquelles il fit des centaines et des centaines d’illustrations pour les petits formats destinés à la jeunesse. C’est qu’en fait j’ignorais tout de cette activité au moment où je le rencontrai et comme il ne m’en parla pas, le sujet ne fut pas abordé. D’autant plus que cette activité soulignait son côté très prévoyant de diversification de ses productions dans le cas d’un mauvais coup dans son travail pour la presse. Et les évènements se chargèrent de prouver qu’il avait raison. Mais sauf au début de son travail pour cette maison d’édition, Impéria, à laquelle il donna de très belles illustrations, jamais il ne signa la moindre d’entre elles.



(Rino Ferrari, Imperia, 1974)

Puis le temps passa et la mort emporta Rino Ferrari en 1986 quelques temps après la vente de son appartement parisien. J’appris sa mort. J’écrivis à son épouse Giulia et j’entretins une correspondance dans laquelle elle me livra les informations que Rino Ferrari n’avait pas voulu me fournir à l’accueil quand je fis sa connaissance. Je vous les livrerai dans un futur épisode constitué par une bio-bibliographie de cet étonnant et grand artiste que fut Rino Ferrari.

Charles MoreauCopyright juin 2010

RINO FERRARI Bio-bibliographie


RINO FERRARI
(1911-1986)


Rino Giuseppe Primo Ferrari est né à Paderno Ponchielli en pleine région lombarde le 3 octobre 1911. Il passe son enfance dans ce petit village où il fait la connaissance de celle qui deviendra beaucoup plus tard sa future épouse, Guilia Somenza, native elle aussi de Paderno. Il quitte Paderno lorsqu'il veut se rendre à Milan pour suivre les cours des Beaux Arts. Il sera peintre sculpteur, c'est sa vocation. Il fréquente d'abord le lycée, puis l'Accadémie Bréra vers 1933.
Ses maîtres seront Adolfo Vildt, Francesco Messina et Giuseppe (?) Marchini. Vildt qui vit sur le palier de l'appartement de Ferrari le conseillera et l'aidera à s'orienter vers la sculpture. Ferrari apprend le dessin avant de devenir sculpteur, on peut se passer du dessin pour peindre mais pas pour être sculpteur.
A peine diplômé, en 1938, il sera même presque embarqué dans l'immense projet Mussolinien du E42, pour remodeler Rome. Il découvre par la même occasion, le monde peint de la ville du cinéma, Cinecitta. On y a besoin de peintres et de portraitistes. Il y apprendra beaucoup. La guerre arrivant, elle balaiera le gigantesque projet du modelage de la ville de Rome. Mais Cinecitta lui aura fait découvrir le journalisme et l'illustration. L'illustration et le journalisme sont inséparables.
En 1942, le 9 avril, il se marie à Paderno Osselaro, avec sa compagne de toujours Giulia Valentina Giovanna Somenzi, un peu plus jeune que lui (elle est née le 28 janvier 1915 à Paderno Ponchielli) et a suivi le même parcourt artistique que lui.
En 1943, il est appelé sous les drapeaux en qualité de lieutenant d'infanterie. Puis il est envoyé à Rome où il travaillera au Ministère de la Marine pour collaborer au "Recrutement de la Mer".
Il commence à travailler pour plusieurs journaux dont le Marc'Aurelio et la Tribuna Illustrata comme 2e peintre. A Milan, il donne aussi des planches à la Domenica del Corriere. En 1945, il revient dans son pays de Paderno et organise la résistance. Il participe à la Libération de son pays.


(Giulia, 1952)

En 1946, il succède en tant qu'illustrateur principal de la Domenica del Corriere à Walter Molino compromis par ses prises de position en faveur du fascisme. Giulia estime que Molino est plus victime que coupable. Le style de Ferrari est plus vivant, plus nerveux que celui de Molino et il a un plus grand sens du mouvement. Son travail consiste à illustrer dans le format tabloïd la première et la dernière couverture du journal et parfois, quelques illustrations intérieures.
En 1947, il part pour Paris, avec l'idée de faire carrière en Amérique. Il visite d'abord le Louvre puis les grandes capitales artistiques, Londres, Bruxelles, Bruges et Gand. Il revient à Paris un peu plus tard et s'y installe faute d'argent pour partir.
En fait, il n'ira jamais s'installer aux Etats-Unis. Il est considéré comme résident en France à partir à partir du 9 juillet 1949 et il obtiendra une carte de résident ordinaire à partir du 13 mars 1951. Il cherche du travail et fait la connaissance d'un jeune éditeur qui lui propose d'illustrer la première page de son journal RADAR, un hebdomadaire spécialisé dans le fait divers et l'actualité, un peu comme le sont les tabloids italiens. Mais là, le journal est deux fois plus grand. Le format de RADAR est favorable aux lavis de Rino Ferrari qu'il met largement en valeur. Il débute avec le numéro 24 du 24 juillet 1949. Durant des semaines et des années, il va fasciner la France entière. Il illustre avec un réalisme incroyable toutes les situations impossibles qui tournent autour des accidents et même de la politique. Rien ne lui échappe dans le dramatique, ni une station avant la mort, ni la préparation d'un attentat ou l'affut d'un fauve près de s'élancer sur sa proie... Quelques semaines plus tard, à partir du numéro 35, il est chargé de la bande dessinée au format d'une page à l'intérieur du journal. Il succède à Andréas Rosemberg avec une aventure exotique : Le Destin est à bord (scénario de G. Constant). D'une manière générale il fait preuve d'esprit d'innovation et dans l'utilisation du lavis et dans le cadrage de la page. Il illustrera aussi bien par la suite des romans historiques ou des romans d'aventures maritimes... montrant que dans tous les genres il aime se documenter avec beaucoup de précision.
C'est le début d'une très longue collaboration dans laquelle il passera avec talent et en s'adaptant à chaque fois d'un journal à l'autre. Il fera des illustrations pour Détective, des illustrations de couverture pour Rêves (à partir du n°189, 9 février 1950), tout cela en surcroit à son travail pour Radar. Ce travail supplémentaire nécessite une documentation sérieuse dans le domaine de la mode féminine et Giulia est là qui lui est d'une aide précieuse. Rêves est toujours un journal assez recherché à l'heure actuelle pour ses toilettes féminines sur toute cette période.


(Rêves 325, 18 sept. 1952)

Dans le même temps, il travaille toujours pour la Domenica del Corriere et pour les éditions Impéria pour lesquelles, il réalise de merveilleuses couvertures où les chevaux et les indiens sont légions. Les illustrations sont toujours criantes de vérité et de réalisme. Ferrari adore les chevaux et il n'aura jamais de cesse de les dessiner et de les peindre quand ce n'est pas de les sculpter jusqu'à sa mort.
En 1953, l'œil acéré de Rino Ferrari lui fait embraser une scène tout entière et il peut la rendre comme s'il l'avait photographiée. Dans un vaste panoramique, il reproduira tout un tribunal sur une page et demie de Radar dans une composition que lui seul pouvait capturer d'une manière aussi complète et saisissante. A l'époque, nul ne pouvait photographier un procès dans un tribunal. Mais le travail de Ferrari est encore plus conséquent que celui d'une photo car il fige dans leur totalité les acteurs de ce procès dément. Chaque personnage est pris dans son rôle et rien n'échappe à Ferrari.
Fin mai 1953, toute l'équipe de Radar se rend à Londres pour le couronnement d'Elisabeth II à Westminster. Les deux pages de couverture de Radar montrant la nouvelle reine couronnée dans sa tenue d'apparat sont tirées en couleurs dans le numéro 220 du 7 juin 1953 signée par Rino Ferrari. Il a obtenu une autorisation pour faire des esquisses des joyaux de la couronne dont la princesse va être parée. Le numéro est tiré à 1000000 d'exemplaires.
En mai 1954, la bande dessinée d'une page à l'intérieur du journal est suspendue. Il y aura un roman qu'il illustrera d'un seul superbe dessin, romantique en général. Il commence avec La Reine des Galapagos de Robert Gaillard (n°274, 9-5-1974 au n°285 du 25-7-1954).
Voici les bandes dessinées qu'il a données dans Radar au fil des années :
- Le Destin est à bord (n°35 du 9-10-1947 au 54 du 21-2-1950 Scénario de G. Constant.
- Les Portes du désert (n°55 du 26-2-1950 au 68 du 27-5-1950 S. d'après Jean Martet.
- Les Amants de Venise (n°69 du 4-6-1950 au 98 du 24-12-1950 S. d'après Michel Zevaco.
- L'Homme de la Jamaïque (n°99 du 31-12-1950 au 110 du 19-3-1951) S. d'après Robert Gaillard.
- Belle Ardente (n°111 du 22-3-1951 au 133 du 26-8-1951) S. d'après Francis Didelot
- Le Poignard de la Reine (n°147 du 2-12-1951 au 163 du 23-3-1952) S. d'après Georges St. Bonnet.
- Les Passagers de l'Albatros (n°164 du 30-3-1952 au 191 du 5-11-1952) S. de James Warner Bellah.
- Lola Montès, la Danseuse ensorcelée (n°220 du 26-4-1953 au 237 du 23-8-1953) S. de Dominique Chantal.
- El Salteador (n°238 du 30-8-1953 au 255 du 27-12-1955) S. d'Etienne Hervier d'après A. Dumas.
- Les Amants de Carnac (n°257 du 10-1-1954 au n°273 du 2- 5-1954 S. d'E. Hervier d'après Eugène Sue.
Au total, Rino Ferrari aura exécuté 191 planches d'octobre 1947 à mai 1954.

Le 27 février 1955, Rino Ferrari revient à la bande dessinée dans le numéro 313 de Radar avec Rex, Gentleman mystérieux. Cette bande dessinée sera reprise un peu plus tard par l'excellent Paul Gillon, le dessinateur des Naufragés du temps.
En 1956, le 7 octobre (n°400), la couleur apparait à la une de Radar dans un premier essai sur les lavis de la première page dessinée par Rino Ferrari. C'est le rose qui domine prélude aux lavis en couleurs qui apparaitront à partir du 10 février 1957 avec le numéro 418. En fait, c'est déjà le chant du cygne pour le grand journal déjà fortement concurrencé par Paris Match qui existe depuis le 25 mars 1949 au format plus pratique.
En 1959, pour Radar, c'est le déclin et pour Ferrari, il est évincé de la première page au profit des photos. Mais son travail a été remarqué depuis longtemps par l'Italien Cino del Duca.
Il entre officiellement au service du bouillant éditeur après avoir quitter l'écurie d'André Beyler qui se tourne (aux dire de son illustrateur) plus vers le domaine politique que vers celui de l'information. Radar change de format le 6 novembre 1959 avec le numéro 561. La rupture avec Ferrari est pratiquement consommée.
Le grand illustrateur a, cependant, un solide bilan à son actif : plusieurs centaines de couvertures publiées tant en France que dans son pays d'origine, l'Italie a qui il donne toujours ses meilleures illustrations et qui paraissent toujours dans la Domenica del Corrière.


(LUI 21, mars 1960)

Le 11 novembre 1959, Rino Ferrari (1) obtient la première page du tout nouveau magazine hebdomadaire, Lui, que lance le roi de la presse féminine. Cette tentative va durer quelques semaines et s'achever avec le numéro 26 au cours du second semestre de l'année. Outre la une de Lui, il a aussi obtenu l'entière dernière page du magazine qui elle aussi est en quadrichromie.
Ce nouveau magazine n'aura rien à voir avec celui qui sera lancé quelques mois plus tard et plus axé sur les photos de pin-up ravageuses. Il est toujours dans le style de l'information à base de faits divers surprenants et criminels. De plus, à l'intérieur, un portefolio de deux pages intitulé
"Le Photographe n'était pas là" illustre en quatre ou cinq images des faits divers dont l'illustrateur s'est fait une spécialité et qui moque son travail pour Radar du temps où il y régnait. Pour parachever le tout, il y signe une bande dessinée bien dans sa manière illustrant un roman de Michel Zévaco, Primerose et la Reine d'Argot (non signée). Lorsque Lui s'arrête avec le numéro 26, le travail de Ferrari est transféré vers un autre magazine des éditions Mondiales, Festival. Lui sera indiqué en sous-titre de ce magazine plus porté vers le cinéma que Lui sous sa première formule où dominaient encore le fait divers et le romanesque. Ferrari y pousuivra sa rubrique pour "Le photographe n'était pas là". Primerose s'achèvera dans Festival. Cependant, Del Ducca ne s'est pas contenté d'utiliser l'illustrateur dans son nouveau magazine, il lui a aussi ouvert les portes de son plus célèbre magazine féminin Nous Deux.
Dès le numéro 616 (mars 1959), la signature de Ferrari apparaît et fait une entrée fracassante avec une pleine page en couleur intitulée : "C'est arrivé hier!" qui illustrera encore un fait divers. Il fournira cette rubrique jusqu'au n° 624 (2e tri. 1959). Et le même phénomène qui s'était produit dans Radar se reproduit dans Nous Deux, immédiatement il fait une illustration pour un roman historique de Paul Alpérine, Agnès mon doux Cœur, qui se déroule aux Indes françaises, au XVIIIe siècle.


(Nous Deux 620, avr. 1959)

Pour compenser, Del Duca lui demande d'illustrer des histoires d'aventurières célèbres sur des scénarii d'Alain St Sauvan dans son quotidien Paris Jour qui vient juste de succéder à Paris Journal en 1959. Quelques unes sont signées mais d'autres non qui sont bien de sa facture.
Scénarii d'Alain St Sauvant :
- Anne Boni et Marie Read du 14-11-1961 au 24-01-1962 (81 bq)
- Charlotte Merange (1793) du 25-01-1962 au 29-03-1962 (63 bq)
- Gaétane de Faiste-Croquart du 30-03-1962 au 04-05-1962 (36 bq)
Scénariste et dessinateur non indiqués :- Les derniers Jours de Pompéi du 08-03-1967 au 15-07-1967 (92 bq)
- La Grande Aurore du 16-07-1967 au 13-10-1967- La fille du Roi Arthur du 14-10-1967 au 12-1967
- La Favorite du Tsar du 23-03-1968 au 31-05-1968
- L'Esclave de Venise du 05-02-1970 au 29-04-1970 (71bq)
(Cette liste est fort certainement incomplète et fait état de mes seules recherches)

Rino Ferrari illustrera, en outre, magnifiquement de 1963 à 1976 des contes et des romans pour enfants, Le Petit Poucet, Le Chat Botté, Alice au Pays des Merveilles, etc... qui paraitront dans le supplément Pour vous Madame du Journal féminin Mode de Paris (Editions mondiales). Ces mêmes contes sont paru chez Fabbri en Italie.
Dès lors, le peintre sculpteur se consacrera à la réalisation de son grand œuvre. Il aspire surtout à la reconnaissance de son talent de sculpteur. Et veut travailler sur des oeuvres littéraires majeures qui l'ont fascinées. Il veut oublier tout ce qui le relie au travail sur le fait divers, ou sur les romans populaires ou sur l'imagerie qu'on lui réclame depuis des années, bref sur sa production journalistique. Ce qui le fascine le plus en premier, c'est un des livres de La Divine Comédie de Dante : L'Enfer. Il a déclaré avoir passé quatre longues années à travailler sur quatre grandes illustrations, peignant avec un pinceau plus fin qu'une plume et grâce à une loupe. Le critique d'art, Waldemar George, préface l'exposition : "Les pôles d'attraction du peintre sont l'Art métaphysique (Pittura metafisica) et le Surréalisme (le premier Chirico) et Roger Otahi ajoute : "Aucun peintre auparavant n'avait risqué l'approche de La divine Comédie avec une accuité de vision aussi intense..." En 1964, il expose l'Enfer en Italie, à la Galerie Gussoni de Milan. Puis cette exposition part à Bergame, en 1967, chez La Torre. Et finalement, pour le 7e Centenaire de Dante, l'exposition est ouverte à la Bibliothèque Nationale de Madrid, en Espagne.



(L’Apocalypse, 1968)

En 1968, il expose à Paris, à la Galerie Weil, avenue de Matignon, les tableaux des Sept Pêchés capitaux. Fin janvier 1969, Marcel Brion, membre de l'Académie française et brillant historien d'Art lui adresse une première lettre pour le féliciter de son travail. Le 28 février, l'Académicien lui en écrit une autre et le 24 avril, il lui déclare qu'il serait heureux d'associer son texte à ces images dans lesquelles il a exprimé avec force et éclat, la beauté visionnaire du plus inspiré des livres. Le 22 décembre, il expose chez Veil l'Apocalypse selon St. Jean. Cette dernière exposition sera transférée ensuite ches les pères dominicains de Bergame. Cette même année voit la sortie d'un autre hommage à Rino Ferrari rendu par Roger Otahi, intitulé Miroir du Fantastique (1969) . En fait, Otahi reconnait que c'est l'aboutissement de toutes les recherches de l'artiste et surtout du peintre sculpteur qui se trouve dans toutes ces expositions consacrées à La Divine Comédie et à la Bible (l'Appocalypse et les Sept Pêchés capitaux).
Le 21 novembre 1974, il expose six lithographies sur la ville de Bergame à la galerie Kefri. L'exposition dure jusqu'au 6 décembre.



(L'Envie, 1964)

En 1975, et peut-être même avant, il entame un travail immense, une commande pour des Editions d'art sur La Légende des Siècles de Victor Hugo. Il donne 70 illustrations en couleurs, dont une double planche, trente hors-textes, vingt quatre bandeaux et culs de lampe aux Editions Arts et Couleurs (Monte-Carlo. Encore une œuvre colossale et exemplaires. L'ouvrage paraît en trois énormes volumes de juin 1975 à juin 1976.
En 1976, Rino Ferrari réalise La Bible d'or en 40 médailles pour la Maison milanaise, Numiversale (Fabbri?). Une plaquette de Mario Muner (Crémone, 1976), rend encore hommage au talent magistral du sculpteur qui parvient à montrer à travers quarante visions de la femme à travers l'histoire de l'humanité combien elle est l'esprit et la chaire du monde.
En 1977, il expose Le Cantique des Créatures à l'occasion du 7e Centenaire de St. François d'Assise (Italie). Ferrari crée pour la circonstance une médaille pour commémorer l'évènement. On le voit la religion et la Bible ne sont pas les seuls centres d'intérêt du sculpteur. Il s'intéresse aussi aux chevaux depuis longtemps - il le montre à travers ses sculptures de l'animal équestre et à travers ses illustrations pour Impéria dont beaucoup montrent les chevaux en pleine action- et pour célébrer le superbe animal, il crée un grand nombre d'aquarelles hippiques dans lesquelles il magnifie les chevaux de courses. Il les exposera en 1983, à la Foire internationale du Cheval à Vérone deux années de suite ainsi qu'à Crémone.
En 1983, il peint toujours des aquarelles et réalise 36 illustrations pleine de ferveur sur L'Histoire incroyable de Bernadette à Lourdes. Ensuite, il s'attaque aux costumes régionaux de la même époque en France et il en fait une exposition à Bergame, le 17 novembre.
Sa dernière œuvre d'illustration sera Une vie de Jésus en 12 grandes tables et plusieurs plus petites sur le même thème. Elle ne paraîtra que de façon posthume.
Le 2 juin 1986, il vend son appartement parisien à un médecin. Mais le couple l'avait quitté quelques mois auparavant pour l'Italie car Rino Ferrari se savait malade.
Il meurt le 15 juillet 1986.

Charles Moreau (Avignon, mai 1986) copyright 2011.

(1) Un peu avant de se lancer dans Radar, il signe les couvertures et probablement les fascicules des six numéros de la Collection Accroche Coeur (février à juin 1949) qui sont des histoires d'amour destinées à un public féminin. Mais son contrat avec Nuit et Jour, dont le gérant est M. Beyler, l'oblige à la discrétion et à retirer sa signature définitivement de tout l'immense travail qu'il va poursuivre anonymement pour les petits fascicules des Editions Impéria qu'on peut compter par centaines, sinon par milliers et pour lesquelles il fournira des couvertures jusqu'en 1978. Lorsque j'ai rencontré Rino Ferrari, il ne mentionna en aucune façon ce travail dont j'ignorai l'existence bien que connaissant les fascicules en question. Ses couvertures superbes faisaient vendre des œuvres qui n'étaient pas toujours exemplaires. Et jamais Impéria ne remit en cause son contrat tacite avec lui, sachant quel grand artiste il était.


Cependant, et là, il me faut admettre que c'est une supposition risquée, je pense que les époux Ferrari, artistes tous deux issus du même moule et de la même Académie des Beaux Arts, travaillaient dans une parfaite osmose. Ce qui donne à leur œuvre cette importance et cette cohésion incontestable. Il faut bien admettre que la finesse et l'élégance de l'élément féminin est présent sous la signature
Ferrari (voir Rêves et Nous Deux) comme la force de l'élément masculin à travers les descriptions de bagarres, de chevaux et d'indiens où le sens du mouvement est présent partout. C'est un travail qui demande une recherche incessante même pour les plus modestes effets pendant des années et des années avec la même maîtrise remarquable. Je ne me risquerai pas au-delà.