jeudi 8 novembre 2012

LE SALON DU LIVRE ET LA SCIENCE FICTION


      EXPOSITION SF

       L'Exposition que j'organise dans le cadre du Salon du Livre avec l'aide de certains éditeurs  ne sera pas seulement consacrée à la Science-Fiction américaine mais aussi à la S-F française puisque seront présents tout au moins par la mémoire Stefan Wul, Nathalie Henneberg, Jimmy Guieu, pour les écrivains et  Jean-Claude Forest et Moebius (Jean Giraud) qui vient de nous quitter pour les artistes de l'illustration et de la BD. Sera aussi présent Vargo Statten (John Russell Fearn) dont Rivière Blanche et Richard D. NOLANE s'apprêtent en début d'année prochaine à sortir un DIMENSION VARGO STATTEN monumental avec un texte de votre serviteur  d'une cinquantaine de pages sur son œuvre au Fleuve Noir, œuvre qui reste à découvrir et à redécouvrir. 
        Enfin, sera présent PIET LEGAY (Baudouin Chailley) dont l’œuvre est de plus en plus importante depuis qu'il a abordé le roman historique après les récits de guerre, l'Espionnage, l'Aventure  et de Science-fiction.

Charles Moreau

mercredi 7 novembre 2012

FRANCIS LACASSIN ET LE CLUB DES BANDES DESSINEES

J’ai rencontré pour la première fois FRANCIS LACASSIN, le 7 juillet 1963, à l’assemblée générale du CLUB DES BANDES DESSINEES, au Café-théâtre de la Vieille Grille, près de la grande mosquée de PARIS, alors que je faisais mon service militaire à Fontainebleau. Le Club venait d’être fondé en mars 1962, sous l’impulsion de F. LACASSIN et par un groupe d’amateurs bénévoles, à la suite d’une série d’articles et de lettres parues dans la revue FICTION (n° 92-93-94, juil.-sept. 1961) dont j’étais un lecteur assidu et d’un référendum que cette revue lança dans son numéro 98 de janvier 1962. Par la suite, les éditions OPTA qui publiaient FICTION soutinrent les activités du Club par des articles jusque dans la revue MYSTERE MAGAZINE (n°178, nov. 1962 et 216, jan. 1966). FRANCIS LACASSIN et ses amis furent ainsi à l’origine d’un important mouvement culturel qui annonçait mai 1968 et sa formidable entreprise de libération, mouvement qui se répercuta en Italie, en Espagne, en Belgique et en Suisse. On peut considérer qu’il favorisa l’essor de la Bande dessinée en Europe et fut une profonde réaction contre la Censure d’une société bloquée qui avait beaucoup trop frappé dans les années cinquante. Le Club s’était doté d’un organe, le GIFF-WIFF qui eut plus d’une bonne vingtaine de numéros, ainsi que d’excellentes rééditions (Flash Gordon, Brick Bradford, Popeye, etc…) dont l’impact fut considérable. Sans le mouvement dont FICTION fut à l’origine avec la nostalgie des lecteurs de BD d’avant et d’après guerre et sans la volonté tenace de F. LACASSIN et de quelques autres, nul ne doute que la Bande dessinée ne serait pas ce qu’elle est devenue à l’heure actuelle car une foule de projets se développèrent autour de cet événement.
Je revis Francis LACASSIN dans une librairie de BORDIGHERA, en février 1965, au premier congrès international de la bande dessinée. J’avais acheté le dernier numéro de GORDON (Flash) édité par les Fratelli SPADA, dont le travail d’avant-garde avait profité à la France, puisqu’à cette époque les Editions des Remparts (Lyon) publiaient les fascicules de MANDRAKE le Magicien et du FANTOME du Bengale, numéro que je lui cédais volontiers sachant alors que j’allais recevoir cette réédition en Italien, chez moi, grâce au directeur de ces deux publications, M. BUFFIERES, qui avait eu la gentillesse de m’emmener avec lui en voiture et pour qui j’avais rédigé un article sur BRICK BRADFORD.
FRANCIS LACASSIN est décédé dans la nuit du 13 août : il laisse une œuvre considérable et attachante qui a formé bien des esprits favorables à la bande dessinée et à la littérature populaire. Il n’a eu de répit que l’on ne connaisse tout ce qu’il connaissait et rien ne l’a limité car il remettait constamment son œuvre à l’ouvrage pour aboutir à la perfection : je n’en veux pour preuve que son travail sur TARZAN dont aucune édition n’était semblable à la précédente. Ainsi, il nous fit découvrir les mille et un Tarzan de la BD et du cinéma, les cent réincarnations de Celle-qui-doit être obéie, et les « 597 » bouquins de ce visionnaire de Marcel ALLAIN qui disait que l’avenir du roman populaire passait par la bande dessinée et le feuilleton télévisé... Ses MEMOIRES (Sur les Chemins qui marchent, 2006) qui se lisent comme un roman policier sont parues aux Editions du Rocher et nous montrent son extraordinaire cheminement, ses recherches et ses luttes auprès des éditeurs pour faire connaître ce qu’il avait découvert. Au moment de sa mort, il préparait un second volume de ses MEMOIRES.
CHARLES MOREAU


AFIN DE RAFRAICHIR LA MEMOIRE DE BHL SUR MASCARA


Je n’entrerai pas dans la polémique concernant le dernier livre co-écrit recemment par Bernard Henri Levy et Michel Houellebec étant donné que les sphères où ils veulent se situer pour un pareil affrontement ne sont d'aucun intérêt pour moi. De Michel Houellebecq, je ne connais que son Lovecraft, contre le monde, contre la vie (1991) pour lequel j'avais d'ailleurs fait une critique favorable qui ne plut pas à celui à qui je l'envoyais jadis et qui resta inédite. En ce qui concerne BHL dont j'ai lu le texte publié dans le Nouvel Observateur, je vous parlerai du Mascara que j'ai connu en précisant que j'y ai été élevé de 1941 à 1961, soit durant une vingtaine d'années en précisant au passage que je suis né au début de 1939 à Paris quelques temps avant l'entrée de la soldatesque hitlérienne dans cette ville. Mes souvenirs dans la ville de Mascara remontent à la fin de la guerre. Je me souviens qu’on y brûla en effigie Hitler et Mussolini et que l’on fit une fête parce que le peuple de France et nous-mêmes avions été libérés de la barbarie nazie. A cette époque-là, j’habitais avec ma mère et mes parents maternels, tous pied-noirs d'origine espagnole, près de l’église de Mascara et donc je fréquentais le centre ville avec mon cœur d’enfant. J’ai toujours été émerveillé de voir que l’église et la mosquée était bâties l’une à coté de l’autre et qu’aux cloches de l’une annonçant la messe répondait de l’autre la voix du muezzin appelant à la prière. Deux autres bâtiments y étaient présents : le monument aux morts célébrant pour les européens comme pour les musulmans une guerre atroce qui n’était pas de ce continent et l’immense Maison du colon aux fresques agraires.
Sur le côté droit en contrebas de l’Église, à coté de laquelle étaient garées les calèches, les taxis étaient rares à cette époque, se trouvait la synagogue. Je pense que peu de ville en Algérie avaient cette extraordinaire configuration. Et cela pouvait s’expliquer puisque Mascara, sous l’Emir Abdelkader, était une ville guerrière située sur une hauteur qu’il fallut investir : son nom d’origine arabe signifie : La Mère des Soldats (Mra Sakar). Pas très loin de la place de l’Eglise se trouvait la Place Gambetta sur laquelle était la Mairie de Mascara, des banques, des bars et la bibliothèque très belle surtout à l’intérieur car elle renfermait toute la culture française. Sa bibliothécaire me laissa lire tous les volumes que je voulais prendre et j’y découvris aussi bien tout Alexandre Dumas que tout Maupassant ou que les premiers volumes de la Série Noire. Il n’y avait pas de télévision à Mascara et ce n’était pas quelque chose dont on pouvait se plaindre puisqu’on n’avait pas le sentiment d’un manque et que la radio et ses superbes chansonniers et ses pièces de théâtre, ainsi que les cinémas nous distrayaient prodigieusement. Sur la place Gambetta, il y avait un kiosque magnifique qui fut par la suite détruit pour aménager la place à cause des voitures qu’il fallait garer. Avec ma sœur et mes amis, nous avons passé beaucoup de temps à glisser sur ses rebords le long des quelques marches qui permettaient d’y accéder. Il y avait un théâtre qui était là de longue date et où ma grand-mère y découvrit les opérettes qu’elle adorait et moi les pièces de théâtre de Molière et de Racine, et où j’entendis pour la première fois cette apostrophe célèbre du Bossu : «…Et si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi… » Son directeur, homme d’une grande culture se nommait M. Valère et dans la semaine, il descendait au Petit Jardin ou l’on gardait les enfants du Jardin Pasteur où passait l’Oued Toudman. Là, il incarnait GUIGNOL et GNAFRON et nous savions tout du célèbre héros lyonnais.


(Librairie Garson, photo Charles Moreau)

Mais sur la Place Gambetta, il y avait la plus belles des librairies que j’ai vu de ma vie. Elle était tenue par les Garson qui avaient aussi une imprimerie. Ce fut le refuge idéal pour moi, le sanctuaire, plus que le Stade de l’Avant-garde. Jusqu’au dernier jour de ma présence à Mascara, je pus y acheter des romans de toutes sortes et le "Canard Enchaîné". Puis je connus aussi le quartier arabe de Bab-Ali où ma mère tenait une modeste poste auxiliaire et là je découvris un autre monde pétri d’un autre humanisme et d’une autre culture et je compris et j’appris sans haine beaucoup de choses. Lorsque notre vie fut menacée, des amis arabes nous invitèrent à manger un superbe couscous et nous dirent que les aléas de la révolte faisaient que nos vies étaient menacées et qu’ils ne nous garantissaient plus dans ce quartier la vie sauve car la haine s’étaient répandue jusque dans les montagnes. Je rajoute une dernière chose le collège de garçons de Mascara recevait tous les enfants de la ville et il y avait là sans qu’ils le sachent des descendants de tous les peuples du bassin méditerranéen qui apprenaient le français et l’arabe et l’Histoire de France.
Charles MOREAU

LEIGH BRACKETT ET LE GRAND LIVRE DE MARS

Le 7 novembre 1977, j’envoyai une lettre à Leigh Brackett (1915-1978) à Kinsman, Ohio, et une copie de cette lettre à Lancaster, en californie, où je lui posai de nombreuses questions sur Chandler, sur ses romans policiers, sur Planet Stories, sur la nouvelle The Tapestry Gate et sur les auteurs à message. Elle ne put me répondre que le 26 du même mois en me donnant une foule de renseignements sur elle-même et sur son œuvre qui me servirent dans la biobibliographie que je devais publier plus tard en trois parties dans la revue Fantastik n°12, 13 et 14 (Campus Editions 1982-1983) mais elle me fit aussi un cadeau en me révélant qu’elle avait écrit quatre romans policiers dont un (Stranger at Home, 1946) qu’elle avait signé du nom de l’acteur George Sanders, le seul roman qu’elle avait écrit en tant que ghost writer… A l’époque ce fait n’était connu de personne et ne fut rapporté aux Etats-Unis qu’après son décès car la lettre de réponse figurait dans ses archives.

Je lui en envoyai tout aussitôt une seconde où je la questionnai sur le deuxième épisode de Star Wars en préparation : L’Empire contre-attaque dont elle écrivait le scénario, mais le temps et la maladie l’empêchèrent de me répondre et de terminer ce scénario. C’est à partir de cette première mouture que Lawrence Kasdan établit le scénario définitif. Lucas lui confia aussi par la même occasion, l’écriture de Raiders of the lost Arc (Les Aventuriers de l’Arche perdue, 1981). RAY BRADBURY intervint auprès de George Lucas pour que le nom de LEIGH BRACKETT ne soit point oublié au générique, c’est ce qu’il me confia après sa visite à Cerisy-la-Salle et à Paris, lors de son passage en Avignon, sur la place de l’Horloge, en 1978.

Pour en venir à l’énorme volume intitulé Le Grand Livre de Mars, il ne contient que la plus belle et la plus importante partie de l’œuvre de Leigh Brackett consacré à la Planète rouge : il n’y manque que quelques nouvelles et un roman Shadow over Mars (1944), rebaptisé plus tard The Nemesis from Terra. Au demeurant, je préférai le titre de chez Opta, Le Livre de Mars, de 1969 (celui, un peu racoleur, des Editions du Bélial ressemble plus à une référence comptable qu’à un recueil complet consacré à la planète rouge où se mêlent l’épique et la poésie) mais il faut reconnaître que ce volume ne comprenait pas le superbe roman consacré à Matt Carse, Sea-Kings of Mars (1949) que le Fleuve noir, sous l’influence de Jean-Gaston Vandel (Paul Kenny), publia en 1957 sous le titre La Porte vers l’Infini.

Espérons, enfin, que le Bélial publiera la triologie de John Eric Stark consacrée à l’étoile rousse qui est son œuvre majeure et sa suite inédite écrite pour une anthologie de Harlan Ellison qui ne fut jamais publiée, Stark and the Star Kings, reliant le cycle des Rois des Etoiles de son mari, Edmond Hamilton et sa propre saga.

Charles Moreau

BERGIER RENCONTRE COPLAN POUR LA PREMIERE FOIS

On sait que JACQUES BERGIER avait beaucoup d’amis parmi les écrivains du roman populaire et qu’il les aida avec générosité de différentes manières : on peut citer JEAN et JOSETTE BRUCE, NATHALIE HENNEBERG et ANDRE RUELLAN (KURT STEINER). On peut y rajouter, bien sûr, PAUL KENNY. Ce dernier introduisit l’illustre savant à plusieurs reprises dans ses romans avec sa complicité. La toute première rencontre fictive entre COPLAN et BERGIER eut lieu dans l’excellent roman, Raid 59 (FN Espionnage, n° 205, 1959). Ce roman débute par une courte exposition relatant un fantastique phénomène lumineux dans le ciel de l’Arizona et du Nouveau Mexique. Le point de départ effectif de l’intrigue se situe en TURQUIE où un réseau du contre-espionnage informe les services français et COPLAN d’une découverte faite par des agents turcs en URSS. Un manuscrit scientifique d’origine française a été découvert entre les mains d’un savant russe appartenant à l’ancienne équipe de TUPOLEV. COPLAN se rend sur place, au Kouban (c’est un fleuve qui sert de frontière entre la Turquie et la Russie, par extension, c’est aussi la région), à Stavropol, grâce à l’aide des services turcs et photographie discrètement chez le savant russe les renseignements nécessaires avant de revenir en France. Pour s’assurer de l’importance du manuscrit dont l’auteur s'avèrera avoir été assassiné, il doit rencontrer un ingénieur nommé Longèves qui le guidera sur BERGIER à qui il montrera les documents ramenés de Russie. Longèves lui déclare (p.75 à 80) :
« - Non, je ne suis pas à même de vous révéler le nom de l’auteur, mais je vous conseille vivement d’aller voir un écrivain renommé pour ses ouvrages de vulgarisation scientifique et qui a précisément consacré un article aux possibilités de l’utilisation de l’énergie de recombinaison des radicaux libres. En plus, il est entiché de science-fiction et connaît tous les techniciens dignes de ce nom attelés à des travaux sur la propulsion des fusées. Il s’appelle Jacques Bergier. Voici son adresse… Essayez de le joindre… Ce n’est pas commode, mais avec de la persévérance vous y parviendrez. Il réalise une sorte de synthèse entre l’être humain, le cerveau électronique, l’encyclopédie et le bottin, carbure au Coca Cola et trimbale en permanence une serviette bourrée de bouquins réputés introuvables.
Coplan se lança illico sur cette piste. Au terme d’une poursuite harassante et d’une succession de coups de téléphone l’ayant promené des Folies-Bergère aux Champs-Elysées en passant par Montparnasse et les quais, il finit par repérer son phénomène au fond d’une librairie en forme de couloir, dans la rue de Seine (il s’agit de la fameuse librairie historique de VALERIE SCHMIDT où se réunissait tout le petit monde de la SF).
Bouchant involontairement l’entrée à cause de sa large carrure, Coplan attendit que l’écrivain eût choisi une quantité impressionnante de romans aux couvertures démoniaques et l’aborda au moment où Bergier manifestait l’intention de sortir.
- Pourriez-vous m’accorder quelques minutes d’entretien ? M. Longèves m’a suggéré de vous pressentir pour la résolution d’un petit problème assez embarrassant… L’interpellé, doté de grosses lunettes, leva sur lui un regard d’une extraordinaire vivacité. L’espace d’une seconde, il dévisagea l’intrus qui barrait son chemin.
- Longèves ? prononça-t-il d’un ton bref, mais d’une voix douce. Oui, d’accord. Où allons-nous ?
- Francis Coplan. Ravi de vous rencontrer… enfin. La Rhumerie Martiniquaise, ça va ?
- Ils s’extirpèrent de la librairie et, d’un pas pressé, lesté de sa volumineuse serviette, Bergier entraîna son compagnon vers le boulevard Saint-Germain. En cours de route, Coplan posa des jalons :
- Vous avez, m’a-t-on dit, fait paraître un article sur l’oxygène monoatomique en tant que combustible pour fusées ?
- Oui, c’est exact.
- A votre connaissance des techniciens français ont-ils tenté de réaliser un moteur mettant à profit la libération des atomes en molécules ?
- Plusieurs, opina l’écrivain. Mais le principal obstacle résulte des températures engendrées par ce retour à l’état moléculaire : de vingt à trente mille degrés. Même en tenant compte de pertes de rendement, et d’une température trois fois moindre, on ne connaît pas de matériau capable de supporter une telle contrainte thermique. En d’autres termes, le pépin, c’est la tuyère.
Coplan se souvint de la première phrase du manuscrit : elle mentionnait précisément que cette difficulté était résolue. Ils atteignirent l’établissement, commandèrent des boissons ; alors Coplan exhiba son dossier.
- D’après vous, qui aurait pu rédiger cette étude ? demanda-t-il en passant les copies à son interlocuteur. Il assista à une chose assez effarante. S’étant emparé des épreuves, Bergier les scruta de haut en bas à une allure cinq fois plus rapide que celle autorisant une lecture normale. Il tourna les pages l’une après l’autre à la cadence qu’on adopte d’ordinaire pour regarder l’album de famille de gens totalement étrangers, dévorant d’un coup des paragraphes entiers de formules et de symboles. Au bout de deux minutes, il restitua le tout et dit avec une assurance absolue :
- Maurice Linay. C’est tout son style et son écriture.
Quelque peu sceptique malgré tout, Coplan fixa son vis-à-vis.
- Vous en êtes sûr ?
- Naturellement. Lui seul était assez farfelu pour oser s’attaquer à cette tâche ; la plupart des esprits pondérés refusent encore de voir dans les radicaux libres une source d’énergie à bon marché, susceptible d’applications pratiques.
- Etait ? répéta Coplan, le front plissé. Bergier but une gorgée de Coca-Cola, braqua ses yeux vifs sur Francis.
- Eh oui… il est mort. Vous ne le saviez pas ?
- Non. Je l’ignorais. Quand ?
- Il y a trois semaines, un mois… L’annonce de son décès a paru dans les journaux. Machinalement Coplan inséra une cigarette entre ses lèvres. Un déclic venait de se produire en lui.
- De quoi est-il mort ? s’informa-t-il d’un ton neutre.
- Suicide. Il s’est tiré une balle dans la tête. Une flamme jaillit du briquet de Coplan qui oublia pendant deux secondes d’allumer sa Gitane.
- Et… où habitait-il ?
- Dans le seizième, 55 rue Boileau. Coplan tenta d’apaiser une soif subite en vidant à demi son Dubonnet.
- Quel genre d’homme était-ce ? reprit-il ensuite. Marié, célibataire ? A-t-on éclairci les raisons de son acte ?
- C’était un intellectuel qui, sans être fortuné avait des moyens suffisants pour se consacrer uniquement à ce qui lui plaisait. Il était célibataire, jeune encore : trente six ans. Mathématicien et physicien. Membre de plusieurs commissions d’études. On a atttribué son suicide à une crise de dépression nerveuse. Je le considérais comme un garçon charmant, extrêmement doué, et j’avais pour lui beaucoup d’amitié. Comment se fait-il que vous ayez les photos de son manuscrit ? Coplan soupira.
- Gardez ceci pour vous, pria-t-il, sentant qu’il pouvait se fier à la discrétion de l’écrivain et estimant qu’il lui devait bien cet aveu en contrepartie. Je les ai ramenées de Stavropol, en U.R.S.S.
Les yeux de Bergier rapetissèrent, mais ses traits restèrent immobiles.
- Dans ce cas, le décès de Linay pourrait bien ne pas être aussi naturel qu’il le paraît à première vue, marmonna-t-il sans cesser de regarder Coplan.
- C’est aussi mon impression, rétorqua ce dernier. Quelles étaient ses opinions politiques ?
- Ni à droite ni à gauche : au-dessus. Il n’avait aucune accointance avec ces milieux-là. Coplan avala ce qui restait de son apéritif puis appela le garçon.
- Vous m’avez sûrement épargné de nombreuses courses inutiles, fit-il valoir en devançant le geste de son informateur bénévole. Je m’excuse de vous avoir retardé, mais notre conversation m’a ouvert d’intéressantes perspectives. Puis-je vous relancer à l’occasion ?
- Quand vous voudrez… Voici un numéro de téléphone où l’on pourra toujours vous donner mes coordonnées de temps et d’espace. Il tendit un billet à Coplan, qui l’empocha prestement. Ils se levèrent ensemble, quittèrent la terrasse et partirent dans des directions opposées…
CHARLES MOREAU

DR WHO : LA BIBLIOTHEQUE DES OMBRES 2 épisodes

A bien des égards la série du Docteur apparaît comme l’une des meilleures séries de Science-fiction que la BBC nous ait donnée. Elle débute en 2005 avec deux nouveaux docteurs JOHN ECCLESTONE et DAVID TENNANT respectivement 9e et 10e docteurs à se succéder sur cette série qui dure depuis des décennies. Elle a actuellement un succès phénoménal en Angleterre. En France, les épisodes qui ont été diffusés depuis l’année 2008 sur FRANCE 4, avec David TENNANT, sont franchement frénétiques et touchent pratiquement à la métaphysique dans certains épisodes, ainsi cette Bibliothèque des Ombres (Saison 4) qui est comme on l’a compris extraordinaire et fait honte, je ne parle pas des français qui ne savent rien faire dans ce domaine, aux scénaristes de Hollywood le travail est complètement stéréotypé et sclérosé et soumis à des règles commerciales presque débiles. Il est vrai que les années BUSH ont anéanti l’humour dans ce pays entraînant la planète dans une horreur que même les pires ennemis du Docteur n’auraient pu concevoir. Donc la Bibliothèque fermée depuis cent ans est la plus grande de l’univers et occupe une planète entière. A l’équateur se trouvent les biographies souligne le Docteur qui est accompagné d’une jeune femme, son assistante et amie du moment, DONNA NOBLE, et qui n’a pas son pareil pour assener des vérités non évidentes à ses comparses entraînés dans l’aventure avec lui. Notons que cette bibliothèque mythique qui fait un peu penser à celle d’Alexandrie aurait pu, avec un peu plus d’imagination, être remplie par exemple par des enregistrements moins volumineux et occupant moins de place, cette bibliothèque a donc une particularité effrayante, c’est qu’elle est totalement déserte et recèle une menace, celle d’être attaquée par des ombres qui se propagent et détruisent les êtres humains. C’est donc à la lutte dantesque contre ces ennemis mystérieux que le Docteur et ses alliés vont devoir faire face. A noter que le thème du fascisme et de la robotisation des masses est bien que sous-jacent, constamment présent. On le voit un tel sujet est hors de porté des scénaristes américains et est crée pour cette fois par l’excellent pour ne pas dire le génial STEVEN MOFFAT qui joue toujours sur les touches de l’horreur et de l’humour. Sur les clients ou les abonnés de ce monde gigantesque on sait dès le début que 4022 seront sauvés et bien sûr par le DOCTEUR. La création visuelle des décors de la bibliothèque sont à la mesure du talent du réalisateur EUROS LYN. Nous ne vous dévoileront pas la fin de l’histoire tant elle est soumise à des péripéties et des rebondissements pleins de suspense. Mais ne loupez pas ces deux épisodes ainsi d’ailleurs que tous les autres où joue DAVID TENNANT dont la performance est remarquable pour ne pas dire extraordinaire.
CHARLES MOREAU

AU CŒUR DE LA SF FRANCAISE, UN SECRETAIRE GENERAL À L’INFORMATION DU GOUVERNEMENT DE VICHY...



En 1972 PIERRE VERSINS dans sa monumentale Encyclopédie de l’Utopie et de la Science Fiction déclare à propos de B. R. BRUSS (un des meilleurs auteurs du Fleuve Noir «Anticipation» et «Angoisse»), sans trop s’étonner et occultant une biographie de 50 années et le faisant surgir telle Minerve toute armée de la tête de Jupiter : « en outre, c’est à 50 ans seulement qu’a commencé sa carrière avec Et la Planète sauta (1946)».
VERSINS ne remarque pas, tout comme son confrère GERARD KLEIN, un peu plus tôt, dans sa préface à ce même roman publiée dans la collection AILLEURS ET DEMAIN – CLASSIQUES (1971) que l’action de ce roman prophétique sur les méfaits de l’ère atomique débute en 1925 (il peut très bien avoir été écrit en partie à cette époque) et est publié en 1946. Quant à JACQUES BERGIER, dans sa préface à L’Apparition des Surhommes (1970) aux EDITIONS RENCONTRE, ne pouvant ignorer lui-même qui est cet auteur de par ses anciennes fonctions, enterre sa première carrière avec prudence et par le côté le plus dangereux : « B. R. BRUSS est le pseudonyme d’un homme politique et écrivain français qui est très discret sur sa biographie… ». Et pour cause !!! Cet honnête homme de BERGIER, l’un des hommes les plus informé sur VICHY, n’aime pas faire du tort.
Quant à JEAN-PIERRE ANDREVON qui dans une chronique littéraire (in Fiction n°217, janvier 1972) intitulée un peu abusivement B. R. BRUSS avant le FLEUVE NOIR fait le point à la fois sur ce qu’il croit être l’œuvre antérieure de l’auteur et sa production assez importante mais raisonnable de l’époque au FLEUVE NOIR et qui revient un peu plus tard après pour un entretien (in Fiction n°258, juin 1975), le 28 juillet 1973, au châtelain des Grèges dans la Haute Loire qu’il a découvert sous son pseudonyme de ROGER BLONDEL dont l’œuvre superbe et différente de celle du FLEUVE NOIR commence à avoir de l’importance chez GALLIMARD et surtout chez LATTES et qui ne peut ignorer son véritable nom de RENE BONNEFOY, il commence à comprendre qu’il a en face de lui un auteur incomplet.
C’est que RENE BONNEFOY, sous ce nom, a eu dans le passé une œuvre d’écrivain bien différente de celle du FLEUVE NOIR encore que parfois elle ait flirté avec la science-fiction et le fantastique. Né le 16 décembre 1895, à Lempdes sur Alagnon (43), il devient journaliste professionnel après s’être distingué à cinq reprises dans la terrible guerre de 14-18 et avoir obtenu la médaille militaire en 1918. Il travaille pour plusieurs journaux dont Le Petit Journal dès 1923. Il rencontre un «pays» ambitieux, Pierre LAVAL dès 1925. On le retrouve en 1927, à la tête du Moniteur du Puy de Dôme dont il devient le rédacteur en chef, Pierre LAVAL ayant acheté ce journal et lui faisant confiance en tant que technicien de l’information.


Il publie son premier roman Gilberte et l’Autorité (1928) qui parait Au Sans-Pareil, Collection «Le Conciliabule des Trente» et bénéficie d’une préface mystérieuse du directeur de collection qui semble s'il l'a rencontré seulement pendant une heure n'avoir jamais pu discuter de son oeuvre avec lui. En 1930, Il publie son second roman qui est un roman de SF un peu à la manière de Rodolphe Bringer, presque un roman picaresque, Bacchus Roi (Nouvelle Société d’Edition) et qui fait réapparaitre les dieux de la Mythologie grecque dans un monde de fantaisie. Et ensuite c'est Tête à Tête aux Editions du Portique. Ce sont ses premières incursions dans la sf et dans le fantastique qu’il a l’air d’apprécier. La même année, la Nouvelle Société d’Edition publie un roman pour enfants sous le pseudonyme de Jacques HURIEL : Le Merveilleux Voyage de huit petits enfants au pays des Moteurs. A l’intérieur du livre, c’est son véritable nom de René Bonnefoy qui apparaît au lieu de celui de Jacques HURIEL, un pseudonyme supplémentaire. En 1931, paraissent deux autres romans : Plaque tournante et La Roche noire à la Nouvelle Société d’Edition. En 1932, Cette année-là parait avec un ton plus promotionnel, et grâce à LAVAL, un Aspect de Royat illustré de 9 lithographies de l’auteur ce qui indique ses goûts marqués pour la peinture. Ce sera sa dernière œuvre publiée avant sa carrière politique mais il ne cessera pas pour autant d’écrire, hélas !
Dès septembre 1940, René Bonnefoy dominé par LAVAL est mis à la tête de la rédaction en chef du Journal parlé. Mais c’est pour peu de temps et il est remplacé en décembre. A la fin de l’été 1942, Laval, de retour aux affaires, place ses partisans dans toutes les administrations, non sans avoir écarté les fidèles du Maréchal Pétain. René Bonnefoy devient alors son Secrétaire Général à l’Information d’où il dirige la censure de la presse. Il est « l’homme de confiance de Pierre Laval au ministère de l’Information… » Suivant le journal La Petite Gironde (n° 25800) du 20 juillet 1943, René BONNEFOY fait un voyage en Allemagne où il conduit un groupe de journaliste français de la zone sud. Enfin, Pierre Laval lui confie la direction de l’Agence de l’OFI, le 11 aout 1943. Il a alors l’occasion d’exprimer ses opinions dans un organe gouvernemental, La Politique Française, dans trois numéros de la fin de l’année 1943.
Lorsque Vichy s’effondre, il est le dernier à partir de son poste. A la Libération, il disparaît et lorsque les principaux membres du gouvernement de Vichy sont jugés en juin 1946 (sentence du 17 juillet 1946), il est aussi condamné à mort par contumace pour collaboration et à la confiscation de ses biens.
Il mène une vie d’errance et se cache à Paris d’où il écrit le 3 juillet, sans sa documentation et sans ses archives, une série de notes en prévision de sa défense qu’on retrouvera dans les archives américaines publiées chez PLON, en 1957, sous le titre La Vie de la France sous l’Occupation (1940-1944). Sa défense est classique : il était un haut fonctionnaire et non un acteur politique du gouvernement. Il n’a jamais pris de décisions politiques mais il a pratiqué la censure.
Lorsque les différentes amnisties commencent à jouer, dix ans après, il se rend à la police au début de janvier 1955 et passe devant la HAUTE COUR DE JUSTICE où il est entendu longuement et rejugé en janvier 1955. Il est condamné, le 26 janvier, à la dégradation nationale à vie et à 5 ans d’indignité nationale le 15 mars 1955. L’Aurore du 16 mars annonce sa condamnation et publie sa caricature en première page ainsi qu’un article.
Il est certain que ses différents pseudonymes l’ont couvert dans toutes ses manifestations et ont trompé beaucoup de monde. Par ailleurs, ce fut aussi un homme fort discret. On peut regretter que cette si triste carrière politique ait empêché une carrière littéraire qui s’annonçait très prometteuse.

CHARLES MOREAU

LA DAME DE MONSOREAU OU L'ASSASSINAT DE CHICOT



Il est toujours triste d’avoir à exécuter un ouvrage qu’on aurait aimé porter aux nues. Le dernier téléfilm basé sur l’adaptation d’un roman célèbre du tandem Maquet-Dumas semble avoir été accompli par une tâcheronne ignare qui n’a jamais lu l’immortelle histoire de la Dame de Monsoreau (1846) et de sa vengeance contre le duc d’Anjou dans la suite intitulée Les Quarante- Cinq (1847-1948). C’est un peu comme si ayant à faire le scénario d’un « Laurel et Hardy » on aurait fait un film sans les deux grands acteurs… Ou un « Charlot » sans Charlie Chaplin. Ainsi la scénariste sans imagination qui a pratiqué les sombres coupures dans son adaptation s’est dit qu’il valait mieux supprimer le fou Chicot et le moine Gorenflot et de reporter les actes du premier sur le preux chevalier de cette histoire le Comte de Bussy d’Amboise. Si bien que celui-ci passe son temps à courir à droite et à gauche et n’a même plus le temps d’embrasser sa dame. Chicot assassiné au propre et au figuré, c’est le confident d’Henri III retiré de l’action au moment le plus inopportun quand il découvre le complot des Guise. C’ est aussi raconter une autre histoire que celle qu’ont écrit Auguste Maquet et son compère Alexandre Dumas qui comme on sait savait si bien réécrire ce qui était déjà écrit par ses nègres. Chicot incarne la conscience du roi et le remet à chaque fois sur le bon chemin dans la lutte capitale contre les Guise, il est la pièce essentielle sur un terrible jeu d’échec qui relate la fin des Valois et c’est une honte profonde de l’avoir supprimé. Qui donc dans ce foutoir qu’est devenu FRANCE 2 a laissé une telle tâcheronne l’exécuter d’un coup de poignard, alors qu’il survit à la Dame de Monsoreau et aux Quarante-Cinq puisque tous ceux qui ont un peu d’imagination l’on fait revivre dans des suites sans fin, sans jamais le tuer, même quand ils annonçaient La Fin de Chicot (Paul Mahalin)…

Venons-en au crime ou à l’assassinat comme vous le voudrez :
On peut comprendre qu’une adaptation modifie un temps soit peu une histoire extrêmement prolixe, foisonnante, mais un scénariste qui a lu l’œuvr e évite de la défigurer : Ca commence mal et dès les premières images, on débute par une scène de western où l’animal poursuivit est un pauvre sanglier. Le vilain, le grand veneur, le comte de Monsoreau, cravate celle qu’il veut être sa belle et la jette à bas de sa monture pour l’empêcher de tuer une bête qui lui est réservée sur son domaine. Ce premier assassinat gratuit n’économise rien de l’adaptation de l’immortel chef-d’œuvre où l’on voit l’immonde boucher achever la gentille petite biche qu’a apprivoisée Diane de Méridor. Honte à la scénariste qui n’a pas été sensible à cette superbe histoire d’amour et à la superbe scène ! Cette belle héroïne se contente de se promener dans le parc avec son amie madame de Saint-Luc à qui elle confie ses malheurs… Nous ne voyons pas en quoi couper cette scè ne et la remplacer par une course poursuite complètement fausse est une adaptation…. Fi donc du mariage de Saint-Luc, l’un des mignons du roi, mariage qui présente la cour du dernier Valois, Henri III. C’est cela qu’il fallait reconstituer… et avec d’excellents acteurs. Les tableaux ne manquent pas sur cette cour… et l’on n’avait pas besoin d’aller chercher midi à quatorze heures. Ce western continue si bien qu’on n’a pas le temps de savoir même à qui l’on à faire. D’abord pourquoi avoir renommé la terrible duchesse de Montpensier en Duchesse de Guise qui était la femme de son frère ? Honte à la scénariste ! Pourquoi avoir renommé le chirurgien Rémy, un bon français qui soigne et recoud les blessures de Bussy et l’avoir affublé d’un nom (Mattéo) et d’une histoire à l’Espagnole ? Un scénariste prétentieux ne s’aviserait pas de faire une chose pareille mais seule une scénariste idiote irait inventer une telle histoire…

L’acteur qui incarne Chicot, acteur médiocre au demeurant et qui nous fait regretter l’excellent Michel Creton, disparaît lors d’une réunion des ligueurs : il y est démasqué stupidement et assassiné proprement, c'est-à-dire salement alors que dans le roman, il suit toute la réunion et la rapporte fidèlement à Henri III, tout en se moquant finement de celui-ci. Chicot est la chair vive du roman, ce qui le fait vivre avec éclat et avec humour. Ne parlons pas du pauvre Gorenflot qui est son faire-valoir dans des dialogues d’une inénarrable saveur dans le roman. Gorenflot maladroit trahit la Ligue à chaque fois et c’est lui que consulte autour d’une table superbement dressée le très habile Chicot qui connaît la gourmandise du moine afin de savoir où en sont les complots de la Montpensier et de ses brutes de frères qui ont autant de sang sur les mains que le grand veneur du roi.


Tout est faux dans ce téléfilm même la fin. Bussy périt dans un combat héroïque en s’empalant sur une grille du château où on lui a tendu un piège. Et ce ne sont pas les quelques scènes empruntées aux Quarante-Cinq pour boucler vite fait le cycle comme si la scénariste disait qu’elle n’a pas envie d’adapter la suite épouvantée par l’affreux pastis qu’elle nous a servi. A la limite, si c’est ce genre d’adaptation qu’on doit continuer à nous présenter sur FRANCE 2 , alors il vaut mieux voir les abominations de la première et de la sixième chaine. Pour en finir avec ce travail bâclé, disons tout le bien que nous pensons toujours, si longtemps après, de la très belle réalisation de Yannick Andréi avec l’adorable et la sublime Karin Petersen en 1971. Plutôt revoir ces épisodes que cette calamité miteuse.

Charles Moreau.

MISES AU POINT CONCERNANT RENÉ BONNEFOY / B. R. BRUSS

J’ai reçu venant du HOOVER INSTITUTE domicilié à l’Université de STANFORD (CA), hier vendredi 24 avril 2009, un document demandé que je n’attendais plus. C’est la copie intégrale de la frappe dactylographique du document en 16 pages, daté du 3 juillet 1948, rédigé par René BONNEFOY et signé de sa propre main. La signature est identique à celle des dédicaces que je détiens sur certains de ses livres ; ajoutons qu’il signait tout le temps en soulignant son nom qu’il soit BONNEFOY ou BLONDEL (je n’ai jamais vu d’ANTICIPATION au FLEUVE NOIR qui soit dédicacé mais je suis prêt à parier que B.R. BRUSS devrait être aussi souligné) et que son écriture caractéristique est aisément reconnaissable. Ce document provenant des archives de la fille de Pierre LAVAL, Josée de MONTBRUN et de son mari, a été publié comme je l’ai dit chez PLON, en 1957, sous le titre La Vie de la France sous l’Occupation (1940-1944), tome 2, pages 927 à 937.
Moins de trois ans après la mort de Pierre LAVAL, René BONNEFOY en fuite (peut-être est-il à Paris comme il l’affirme lors de son procès mais peut-être s’est-il caché en Suisse ou encore dans la zone française d’occupation en Allemagne où l’on accueillait les fonctionnaires de Vichy à bras ouverts pour la réorganisation de l’Allemagne future face au péril bolchevique ou bien encore au Maroc ou en Tunisie) a éprouvé le besoin de témoigner de son travail en tant que Secrétaire Général à l’Information. Ce document lui servira de base pour établir sa défense devant le tribunal de la Haute Cour de justice au début de l’année 1954.
Il est un troisième document, publié en 1969 dans la Bibliothèque de Droit public, qui est très important et qui est rédigé par un éminent juriste, Docteur en Droit et homme de droite, qui n’est que le futur patron du PARISIEN LIBERE Philippe AMAURY. Il a pour objet Les Deux Expériences d’un «Ministère de l’Information» en France (874 pages bien tassées et près de 60 entrées concernant BONNEFOY René qui forment une véritable reconstitution détaillée de sa carrière et de ses objectifs). Cette étude minutieuse s’étend sur la période 1939-1944, dite de l’occupation et de la collaboration. Pour ceux qui ont encore des doutes et qui écrivent dans les blogs de la SF ou de la littérature populaire pour être plus précis, à l’abri de pseudonymes confortables au lieu d’aller y voir, nous leur signalons un superbe portrait de René BONNEFOY (page 258) en grand dignitaire de Vichy de 1942 à 1943, alors qu’il avait la haute main sur ce ministère essentiel aux allemands qui y croyaient dur comme fer. Pour ceux qui douteraient de son importance, René BONNEFOY ne faisait pas que dicter leur conduite aux journaux, il écrivait des articles en les signant ou pas, donnait aussi des interviews et participait à des conférences de presse où il se faisait interpeller par Charles MAURRAS qui devait le trouver trop mou. On en eut la preuve lorsque BONNEFOY fut dénoncé à son tour dans le Journal AU PILORI (n° 149 du 27-5-1943). Ce fait est mentionné dans son procès en 1954.

Dans le journal ACTU, n°59, daté du 20 juin 1943, journal que je détenais depuis longtemps parce qu’il contenait un roman de JEAN DE LA HIRE, un autre qui sauva sa tête à la Libération avec des complicités, BONNEFOY nous livre sur presque deux pages sa vision de l’ordre dans la Presse : « L’Information française ne dit pas tout, mais tout ce qu’elle dit est vrai », titre chapeau comme quoi on peut pêcher par omission dans des époques délicates, et l’article précise que René BONNEFOY dirige quotidiennement « Le Quatrième Pouvoir ». Trois photos le situent à différents moment de sa vie : dans la première, datant de 1943, il est à sa table de travail de haut fonctionnaire vichyssois, alors qu’il reçoit les reporters du journal. La seconde est tout à son honneur, elle le montre coiffé de la chéchia du 7e Tirailleur d’Infanterie, en 1918, alors qu’il vient d’être décoré de la médaille militaire pour ses faits de guerre. Enfin, la dernière le montre encore avec le Président Philippe PETAIN à qui il présente des journalistes à la même époque selon la légende de la photo. Cet entretien qui lui sera reproché lors de son procès est un inventaire détaillé de son action qu’on ne peut rayer d’un trait de plume ou par une boutade sur un extrait de naissance qu’on n’ira pas chercher parce qu’on a la flemme de le faire et qu’on préfère se fier aux écrits des autres.

Le reporter du journal ACTU, Jean ROBEYROL, donne une conclusion sans équivoque qui roule curieusement sur la lucidité de BONNEFOY. Je la cite en entier, pour ceux qui aiment couper les cheveux en quatre, avec son titre :
Prophéties de 1927 : « Se fiant aux nouvelles nous croyons que notre compatriote peut se fier au sens politique et national très sûr de l’homme qui dirige l’Information. René Bonnefoy est l’auteur de quelques livres assez voltairiens de tournure et d’esprit. L’un d’eux « Gilberte et l’autorité » va très loin sous une forme plaisante tantôt légère tantôt grave. Il fut écrit vers 1927 il y a seize ans, et, à le relire aujourd’hui son auteur apparaît comme un prophète… En effet, nous y lisons : « Il n’en restait pas moins que la France avait tout à craindre de l’avenir. La formidable montée des Anglo-saxons… les remous inquiétants de ce réservoir d’homme qu’est le peuple russe… le retour à la vie puissante de ce peuple à forte natalité qu’est l’Allemagne… et chez nous l’invasion sournoise et quotidienne… » Telle est la lucidité de René Bonnefoy, cet homme agréable, au maintien modeste, aux goûts effacés, ce clerc qui n’a pas trahi, dont chaque trait apparaît comme appartenant à cette tradition des grands commis de l’Etat, qui conduisirent notre pays avec le même sang-froid paisible, les jours de deuil et les jours d’allégresse.»
Enfin n’oublions pas que quelques uns de ses livres de la première époque, sont édités grâce la maison d’édition de Pierre LAVAL : il avait acquis une imprimerie avec le journal Le Moniteur du Puy de Dôme. On le voit son maître à penser devait avoir en tête de se constituer un empire de presse et s’il avait favorisé le technicien de l’information qu’était René BONNEFOY, ce n’était pas pour rien surtout quand les opportunités politiques se présentèrent.
Pour en venir à l’œuvre de BONNEFOY, publiée sous ses multiples pseudonymes en laissant de côté quelques romans alimentaires, il faut constater que malgré l’accros monstrueux du temps du à la fatale période politique à laquelle il sacrifia, elle jouit d’une plus grande unité qu’on ne pourrait le penser et que tout s’y additionne très bien.
Le style des romans de son début de carrière avant guerre est assez semblable bien que moins percutant que dans ceux de sa fin de carrière sous le pseudonyme de BLONDEL. Les Graffiti
(1975) signé BLONDEL, n’est qu’une transposition de son activité pendant son passage au Ministère de l’Information et à l’OFI. Voici ce qu’il dit dans l’interview publié par Richard D. NOLANE sur son site : «À un moment donné, dans une ville (cela se passe aussi dans un endroit indéfini), il (le héros de l’histoire Aldin) devient l'ordonnateur de graffiti. C'est une ville dont les murs sont couverts d'inscriptions de toutes sortes, et il a pour mission, avec un personnel nombreux, de lire tous les matins tous les graffiti, de relever ceux qui sont un peu subversifs, ceux qui sont intéressants, ceux qui apportent des lumières... Et il doit faire un rapport général remis aux autorités de la ville qui ira dormir dans les archives sans qu'on n'en tienne jamais compte. » Au demeurant, ce n’est pas le seul roman qui semble voguer sur les remords de l’inconscient : La Grande Parlerie (1973) en est un autre toujours signé BLONDEL et ce titre est très significatif. On peut ajouter un volet supplémentaire avec Les Fontaines Pétrifiantes (1978) qui cible Mai 1968. Voici ce qu’il en dit toujours dans l’interview citée plus haut : « Ce n'est peut-être pas mon livre le plus actuel mais c'est celui qui est le plus mêlé à la vie courante... Il touche à des événements qui se rapportent un peu à Mai 68. C'est la critique et même la satire des méthodes de ressassement dans les universités et dans la vie de tous les jours. Il m'est difficile d'en parler parce qu'il s'en va à droite et à gauche, avec toutefois une certaine continuité. » C’est lui qui le dit. Comme on le voit le trauma de son passage au Ministère de l’Information resta durable.
Enfin, concernant RENE BONNEFOY, un autre document plus considérable reste à analyser, celui provenant des Archives de la Haute Cour et relatif à ses procès devant cette instance d’exception. Rappelons que ces archives ne pouvaient être disponibles que 25 ans après le décès de l’intéressé donc en 2006 contrairement aux autres documents ci-dessus disponibles et que pouvaient utiliser tous les chroniqueurs de la SF et du roman populaire.
(A suivre...)

CHARLES MOREAU
Copyright 2009, Charles Moreau

ANDRÉ MARTEL, éditeur et imprimeur à Givors


LE PREMIER EDITEUR DE BESTSELLERS EN FRANCE D’APRÈS-GUERRE ?
C’est à coup sûr André Martel.

Et pourtant, si l’on cherche dans la gigantesque Histoire de l’édition française (Promodis, 1983-1986), le nom d’André Martel, on ne le trouve qu’une seule fois sous la signature d’Alfred Fierro (p. 134) : « … André Martel, à Givors, avec 19 titres, surtout des romans policiers (1950) ». Ce qui est tout à fait inexact. Quant à L’Edition française depuis 1945, publié sous la direction de Pascal Fouché, Edition du Cercle de la Librairie, 1998, elle ne le mentionne même pas. Idem pour le récent Dictionnaire des Littératures Policières (2003, révisé 2007) du méticuleux et méritant Claude Mesplède, il ne le signale même pas comme éditeur de collections policières. On le voit le temps et le parisianisme causent toujours des dégâts à la province...



Dans son étude sur la Naissance des Bestsellers (1967), l’essayiste et critique allemand, Curt Riess, se penche sur le phénomène tel qu’il apparaissait au 20e siècle avec un immortel roman fleuve américain sur la guerre de sécession, Autant en emporte le vent (1936) de Margaret Mitchell, il désignait ensuite, si l’on se réfère à l’ordre chronologique La Marquise des Anges (1957) d’Anne et Serge Golon. Mais il ne s’apercevait pas qu’entre les deux il y avait, en France, un formidable roman de 960 pages intitulé Marie des Iles dont l’auteur n’était autre que Robert Gaillard, écrivain déjà confirmé à l’époque et récompensé par le Prix Renaudot, en 1942, pour son roman Les Liens de Chaîne. Robert Gaillard, était grand reporter, avait voyagé avec toute sa famille à travers le Mexique, l'Amazonie et les Antilles... C'était, en outre, un spécialiste de l’histoire de la marine qui s’intéressait aussi bien à l’histoire qu’à l’infiniment petit. De plus, il avait publié aux Editions du Bateau Ivre, un gros roman d’aventures L’Homme de la Jamaïque (1947) qui serait repris quelques temps plus tard, en 1951, par un jeune et dynamique imprimeur-éditeur, André Martel, après que Gaillard l’ai remanié et qui avait publié précédemment en 1948, le fameux roman Marie des Iles, une saga qui laissait loin derrière elle, par ses assises historiques et par sa superbe liberté de ton, ce qui était novateur à l’époque, l’immortel chef-d’œuvre de Margaret Mitchell.

André Martel était né à Paris, le 27 mars 1917, d’Anne Marie Hélène Bur, une lingère de Neuilly, et Lucien Michel Charles Martel qui ne le reconnu que le 20 novembre 1932. Les Martel étaient une famille d’imprimeurs, établie depuis longtemps semble-t-il à Givors. L’enfant fut légitimé à 18 ans par le mariage de Lucien Michel Charles Martel et de Bur Anne Marie Hélène, célébré à Givors le 20 février 1935. Après la défaite, il fut fait prisonnier et envoyé en Allemagne où il resta en captivité jusqu’à la Libération. De retour en France, en 1946, il se maria le 6 août à Lyon avec Micheline Rosa Jouffroy.

La même année, il débuta son activité d’éditeur-imprimeur au 45, rue de Belfort (à présent, la rue Roger Salengro) à Givors avec la publication du Père Goriot de Balzac, premier livre d’une édition semi-luxe de l’œuvre du grand romancier dont chaque volume était préfacé par Maurice Bardèche, un des meilleurs balzaciens de l’époque et qui sera poursuivie jusqu’en 1951, avec 30 autres volumes. Comme il adorait le roman policier dont le genre va se développer presqu’au même moment en France, il se lança dans la publication de l’œuvre de Sir Arthur Conan Doyle et publia deux Sherlock Holmes : Le Signe des Quatre et Une Etude en Rouge et planifia la publication des autres romans du célèbre détective. L’année suivante, en 1947, il publiera deux autres Sherlock Holmes : Le Chien des Baskerville et La Bande mouchetée. En 1948, il entame la publication de l’œuvre complète de Victor Hugo (33 volumes) qui se poursuivra jusqu’en 1955. Tache surhumaine pour un éditeur de province.



La publication de Balzac et de Victor Hugo l’amène à connaître de nombreux artistes (notamment ceux qui illustrent les romans de la collection) mais aussi des écrivains qui sont déjà célèbres. Il fait la connaissance de Robert Gaillard qui, revenant d’un voyage en Amérique du sud et dans les Antilles. lui amène un énorme pavé de près de mille pages inspiré par les manuscrits découverts dans les archives de la Martinique. De quoi faire réfléchir les plus grands éditeurs parisiens qui l’ont refusé.

Risque tout, il prépare la publication du roman qui sortira de ses presses au début de l’année 1948 et ainsi, il publie le premier bestseller français avec Marie des Iles, roman fleuve de Robert Gaillard qui lui donnera deux suites, tout aussi imposantes : Marie Galante (1949) et Le Capitaine Le Fort (1950). Le tirage de Marie des Iles atteindra les 250 000 exemplaires. C’est un énorme succès d’édition. Le roman se verra d’ailleurs réimprimé plusieurs fois : une édition de luxe à tirage limitée en 2 volumes et une édition en 22 fascicules illustrés par deux dessinateurs différents (supplément à la revue Omnibus). En 1957, Marie des Iles reparaîtra en deux volumes avec des couvertures (Brantonne) différentes de celle de l’édition de 1948.

En 1950, André Martel divorce pour se remarier tout aussitôt le 21 décembre avec Huguette Henriette Marcelle Vugier.

En 1951, il publie L’Homme de la Jamaïque révisé par son auteur, Robert Gaillard, roman qui était déjà paru aux Editions Le Bateau Ivre, en 1947. C’est le début d’une longue série de cinq romans consacrée à un moderne aventurier des îles, inspirée par le découvreur Fernand Fournier Aubry qui avait parcouru de long en large toute l’Amérique du Sud et de nombreux autres pays.

Gaillard, alors au plus haut de son talent, qui lui remet roman sur roman et qui est devenu son auteur vedette mettra encore en chantier une trilogie sur les Conquistadors, Les Conquérants de l’El Dorado. En 1952, André Martel sort le premier volet Cristobal Colon, un des meilleurs romans consacré au grand explorateur et dans la foulée le second, Les Dieux sont revenus (1953) qui retrace la conquête du Mexique par Hernan Cortès. Le troisième consacré à Francisco Pizarro ne sortira que très longtemps plus tard. Ces deux premiers romans du cycle se verront couronnés par l’Académie Française. Il publiera plus d’une vingtaine de romans de Gaillard et ira même jusqu'à lui confier la direction d’une collection « Mers et Terres ». En 1956, la fructueuse collaboration s’arrêtera avec le départ de Robert Gaillard pour une autre maison d’édition, le Fleuve Noir...



Mais Gaillard n’est pas le seul fleuron des Editions Martel, d’autres auteurs y ont eu leur place tels que l’acteur Erich Von Stroheim avec Paprika et sa suite Les Feux de la St Jean, ou le futur mercenaire Roger Delpey dont les tirages des Soldats de la Boue atteindront ceux de Marie des Isles à la meilleure époque. Si l’on considère l’ensemble de la production des Editions Martel on peut dire qu’elle relève de choix éclectiques et murement réfléchis. L’œil de l’éditeur tient compte de toute son époque notamment quand il publie la première Histoire du Cinéma de Maurice Bardèche et Robert Brasillac, en 1948, et ne se limite pas qu’au policier, à l’aventure dans toute sa gamme, à la science-fiction, au fantastique et au roman historique. Gardant un œil sur le cinéma, il publiera les meilleurs westerns de Paul I. Wellman, Les Murs de Jéricho, La Maitresse de Fer ou Les Comancheros. L’humour aussi aura une place de choix avec les excellents Pierre Dac et Francis Blanche (Malheur aux Barbus, 1952). La politique aussi, et l’éventail va de la droite à la gauche. Du procès de Philippe Pétain en passant par Le Troisième Reich et à la guerre d’Algérie, dans les maquis du FLN. Les mœurs non plus ne seront pas oubliées. Et le pire surviendra avec les romans de soldatesque, peu nombreux, où André Martel se fera interdire par la censure, ce qui lui vaudra malgré tout de figurer dans l’énorme Dictionnaire des livres et Journaux interdits (Par arrêtés ministériels de 1949 à nos jours) de Bernard Joubert (2007). Enfin il fera scandale lorsqu’il publiera L’Adorable Métisse (1953) et sa suite Sainte-Marie de la Forêt (1954) d’Albert Paraz, l’ami secourable de Ferdinand Céline, avec une préface du Maréchal Juin. Plus tard, dans les années soixante et soixante dix, il publia de petites collections de romans policiers et d’espionnage et même une revue d’histoire de Blagues.

En 1973, l’imprimerie Martel subit un important incendie dont l'entreprise ne se releva pas. André Martel arrêta alors son activité d’éditeur en 1975. André Martel est décédé le 19 avril 2004 à Lyon et est enterré à Givors.

En conclusion, après cette brève évocation, les écrivains de l’histoire littéraire feraient bien de se pencher sur le cas André Martel car cet éditeur flamboyant a incontestablement marqué son époque et a fait œuvre à plus d’une reprise de novateur ainsi que nombre de ses auteurs.

Charles Moreau.
(Copyright, 2009)

NATHALIE HENNEBERG : l'affaire du manuscrit perdu des CINQ DANSES DE NITOCRIS...


Dahlia/Val d’Ore

13260 Cassis,

29 Mars 1977


Madame Nathalie Henneberg,
15 boulevard des Invalides,
75007 Paris.

Chère Madame et Amie,
J’ai fini de lire votre manuscrit, LES CINQ DANSES DE NITOCRIS. Inutile de vous dire tous le plaisir que j’y ai pris. J’ai pris le temps qu’il fallait. Selon mon habitude que vous connaissez bien, je l’ai lu le crayon à la main en notant mes observations et mes remarques au passage. J’en suis sorti éberlué.
Comment vous dire alors ce j’en pense, honnêtement ? Je suis bien embarrassé. J’ai eu un peu l’impression d’être comme ce vieux critique d’art qui disait devant moi à un peintre de mes amis, Gen Paul, pour ne pas le nommer : « C’est mal foutu, mais que c’est beau ! Au fond, c’était une manière d’hommage rendu à un talent « différent ».
C’est à peu près ce que je vous disais au temps lointain où je publiais LA ROSEE DU SOLEIL ou Les DIEUX VERTS comme vous me le rappelez : « Quoique vous écriviez, cela ne ressemblera jamais aux autres. » Et cela se vérifie une fois de plus dans LES CINQ DANSES. L’ouvrage est impossible à analyser. On y trouve de quoi faire deux ou trois ouvrages « différents ». Au moins. Le thème initial du « Mal terrien »/ « Nous sommes immortels, la Mort est une métamorphose » se perd de vue au long des pages. D’abord une fresque historique dans un somptueux désordre très oriental (158 pages), puis une biographie tout aussi désordonnée, très russe, de « mutante en strict résumé » aussi émouvante que passionnée et enfin, des réflexions en forme de vision ou de fable orientale sur l’avenir.
Bien sûr, on retrouve le style Henneberg, inimitable, dans son « baroquisme », mais ce n’est pas, pour moi de la SF ou du moins de la SF telle que nous en publions dans notre collection. Est-ce même un « roman » ? Cela me parait plus proche de L’OPALE ENTYDRE et de Charles Bourgois (*). Mais je ne veux pas me fier à mon seul « jugement » et je préfère envoyer votre manuscrit à notre ami Jacques Bergier afin d’avoir sa réaction.
Toutes mes amitiés
PS. – Manque la page 246 dans le manuscrit.
(*) Lire Christian Bourgois, l’éditeur mort récemment.

(Le premier roman de Nathalie Henneberg, sous le
pseudonyme de Dominique Hennemont faussement attribué à son mari, 1952)

Une carte jointe à la lettre et tenant par un trombone indique pour Jacques Bergier :
« Ci-joint le manuscrit que j’ai reçu de Madame Henneberg : Les Cinq Danses de Nitocris. Avec la copie de la lettre que je lui envoie. Jetez-y un coup d’œil et après, si vous êtes d’accord avec moi, passez-le manuscrit pour qu’elle le rende à Anne Lenclud (Agent de N. Henneberg, CM). J’ai encore un manuscrit que je viens de recevoir de David Maine (Pierre Barbet, CM)). Je vous l’adresserai dès que je l’aurai lu. Et je me mettrai (enfin) sérieusement au travail sur mes Anciens Astronautes. A bientôt par lettre. Avec mes amitiés ».

Cette lettre de refus est adressée à Nathalie Henneberg le 29 mars 1977. Nathalie Henneberg mourra le 24 juin 1977 à l’Hôpital Tenon, moins de trois mois après. Dans une correspondance du 19 avril 1989, avec Anne Lenclud qui dirigeait l’Agence Littéraire (derrière l’Agence Maurice Renault), elle m’indiquait les dates de rentrée des manuscrits de Nathalie Henneberg que Maurice Renault et elle-même avait reçus. Parmi les titres cités, deux ont retenu mon attention :
- 31 mai 1967 - Ce sont les Cosmonautes
- 06 avril 1976 - Le Khéroub des Etoiles (dernier manuscrit reçu).
Donc Les Cinq Danses de Nitocris dont parle Georges H. Gallet l’ancien directeur littéraire du Rayon Fantastique (Hachette-Galimard) et des collections Science Fiction et Super Fiction (Albin Michel) dans sa lettre de refus à Nathalie Henneberg a été écrit et terminé quelques mois avant le renvoi du manuscrit par lui-même à Jacques Bergier. C’est donc le dernier roman de Nathalie Henneberg. Jacques Bergier a aussi conservé le manuscrit car s’il l’avait transmis comme le lui demandait Georges H. Gallet dans sa carte-lettre, Anne Lenclud l’aurait enregistré. Maintenant reste la possibilité qu’il l’ait porté à son amie mourante, ce dont je doute.


(Nathalie Henneberg sans doute fin des années 1930/début des années 1940...)

La copie de la lettre du 29 mars 1977 et le carton adressés à Jacques Bergier ont été retrouvé dans les Archives de ce dernier à la Bibliothèque de Saint-Germain en Laye qui héberge les archives du « Scribe des miracles » léguées ainsi que tous ses livres (la plupart en anglais) à cette bibliothèque. Lorsque j’y suis allé pour la première fois, j’étais en compagnie de Jean-Luc Buard ; c’est alors que nous avons découvert la copie de la lettre de refus et le carton adressé à Jacques Bergier. Et nous nous sommes donc posé plein de questions. Nous sommes retournés à la bibliothèque : des manuscrits y figuraient mais aucun d’entre eux n’était le manuscrit de Nathalie Henneberg, Les Cinq Danses de Nitocris et à ce stade, nous avons considéré que le manuscrit avait bel et bien disparu puisque on ne connaît pas le destin des archives de Nathalie qui conservait, entre autres souvenirs, chez elle son autobiographie limitée à ses souvenirs d’enfance ainsi que ses manuscrits en instance. Nous sommes retournés, une autre fois à Saint-Germain en Laye, et avons examiné systématiquement l’ensemble des rayons (que nous n’avions pas pu voir la fois précédente) et des manuscrits sans bien sûr rien y découvrir. A l’époque, faute de moyens, un inventaire n’avait pas été dressé et donc il était impossible de savoir si le neveu de Jacques Bergier avait remis le manuscrit à la Bibliothèque avec la lettre de refus ou l’avait conservé si tant est qu’il était dans les archives héritées de son oncle. Donc il restait à espérer que ce manuscrit avait été remis par Jacques Bergier qui ne voulait pas les conserver à des amateurs ou admirateurs de l’auteur, ce dont il était coutumier puisque c’est ainsi que j’ai pu récupérer un manuscrit intermédiaire du roman Le Sang des Astres (1963), intitulé alors L’Univers à quatre dimensions entre les mains de Maxim Jakubowski, libraire à Londres, à qui je l’ai acheté le 5 octobre 1988. Il aurait détenu aussi un autre manuscrit plus important, en nombre de pages, que celui publié au Rayon Fantastique, La Forteresse perdue (1962). Je le lui aurai acheté mais il ne le retrouva pas à l’époque.


(Tout le monde, jury, éditeur et auteur, a signé pour le Grand Prix du Roman d'Anticipation Scientifique 1954, y compris Charles Henneberg, qui n'a pourtant pas écrit lui-même son livre, en bas à droite verticalement...)

La lettre de refus de Georges H. Gallet amène plusieurs réflexions. A l’époque où il publiait ses romans chez Albin Michel (Le Mur de la Lumière (1972), La Plaie (1974), Le Dieu foudroyé (1976), Nathalie Henneberg était en tête des ventes des collections devançant les meilleurs auteurs étrangers, y compris les américains. Les chiffres des listings de ventes sont dans les archives de Jacques Bergier qui les recevait puisque co-directeur des collections avec son compère Gallet. Avant la découverte de sa lettre, Georges H. Gallet que j’avais rencontré pour une interview avec Jean-luc Buard m’avait dit que Nathalie Henneberg était malade et n’écrivait plus. Lorsque je découvris la lettre de refus des Cinq Danses de Nitocris, je fus assez surpris de voir que contrairement à ce qu’il m’avait dit elle continuait bel et bien à produire toute malade qu’elle fut. Il aurait pu donc publier les Cinq Danses de Nitocris sans aucun problème personne ne lui aurait fait de reproche d’autant plus qu’il avait publié quelques romans sans importance ou nuls dans ses deux collections d’Albin Michel. A noter aussi qu’il n’attendit pas la réponse de Bergier pour envoyer la lettre de refus.
En fait ce que ne digérait pas Georges H. Gallet, c’était la publication de romans et de nouvelles dans d’autres collections comme Le Masque, dirigé par Jacques Van Herp ou comme chez Christian Bourgois.



(Écriture et signature de Charles Henneberg
)

La lettre de Georges H. Gallet apporte aussi un démenti à ceux qui croient toujours que son mari écrivait, La Rosée du Soleil étant signée Charles Henneberg. Tous ses contrats chez Hachette sont signés par elle et non par son époux, j’en détiens la preuve : toute les photocopies des contrats me furent adressée par un des directeurs de chez Hachette très compréhensif. Enfin pour finir par eux, ni André Martel qui publia Les Trois Légionnaires (1952) et Le Sabre de l’Islam (1953), ni Jean Birgé (qui publia La Naissance des Dieux (1954), quand je leur déclarai que ces romans avaient été écrits par une femme, qui n’était autre que Nathalie Henneberg, ne voulurent me croire. Les documents que je joins ici en sont la preuve pour ceux qui voudront l’admettre en comparant les écritures.
A noter aussi et c’était un petit truc de Nathalie Henneberg pour savoir si son manuscrit avait bien été lu, l’absence de la page 246 comme s’en est aperçu Gallet qui bien sûr n’était pas dupe.
Le manuscrit de 1967, Ce Sont les Cosmonautes, ou Les Cosmonautes cité par Didier Reboussin, fut envoyé à Alain Dorémieux avec un nouveau titre : Demain le Ciel et corrigé par lui. Quelques temps avant son décès (1998) et à la suite d’un déménagement, Alain Dorémieux qui quittait Biarritz, remit une partie de ses archives à Francis P. Valéri-Doster. Le roman refusé Demain le Ciel y figurait. J’en demandais une copie à Francis Valeri - que je remercie encore ici - et dont je payais la duplication et c’est ainsi que je pus le lire. Dans une correspondance de professionnels de l’édition SF, établie par Pierre Versins, Nathalie Henneberg déclarait le 21 sep 1963 dans le numéro 7 du bulletin « On Dirait » (p.10) daté du 27 novembre 1963 en répondant à Gil Roc, un jeune écrivain qui l’admirait : « …Comme vous y allez ! Je ne suis jamais contente de mon travail d’artisan. Et j’évite soigneusement les planètes du système solaire (Gil Roc espérait un chef-d’œuvre se déroulant sur Vénus) ; sans être une scientifique patentée, je les sais trop proches dans le temps, sinon dans l’espace. Mon roman à paraître se passe sur Anti-sol d’Alpha-Andromède (Le Sang des Astres, 1963). Et le suivant dans la Fosse du Cygne. Mais dans l’intervalle, il y aura, peut-être, un livre qui ne quitte pas la Terre et où j’essaie d’établir la jonction entre la Sc-f et « la littérature avec un grand L » (Académiciens, je lutte pour nous tous ! On dira : « On ne lui demande rien ! ».
Ce livre qui ne quittait pas la Terre, c’était Demain le Ciel, un livre assez visionnaire puisqu’il envisageait rien moins que l’existence dans le futur d’une Agence Spatiale Européenne et l’histoire de quelques cosmonautes. Mais ce n’était pas un récit flamboyant comme elle avait l’habitude d’en écrire pour Alain Dorémieux qui l’estimait beaucoup et il le refusa pour sa parution dans la revue Fiction dont il était alors rédacteur en chef : il aurait trop désorienté ses lecteurs. Il le conserva, néanmoins, mais ne le plaça nulle part bien que l’ayant rewrité (corrigé).
Tel était alors le sort des manuscrits avant notre période actuelle où l’on peut les anéantir d’un clic…ce qui est plus amusant que de les jeter à la poubelle comme les maisons d’éditions le faisaient alors par tombereaux entiers.


(Écriture de «Dominique Hennemont» qui n'a rien à voir avec celle de
Charles Henneberg mais beaucoup avec celle de sa femme...)

(Écriture et signature de Nathalie Nenneberg)

Pour ceux, têtus, qui ne veulent pas mettre à jour leurs connaissances livresques et qui répètent comme des perroquets ce que d’autres ont dit avant eux, sans rien vérifier, une dédicace sur le premier livre en français de Dominique Hennemont, Trois Légionnaires (André Martel, 1952), que je viens de recevoir, prouve bien que c’est elle qui écrivit le roman, c’est en effet l’écriture de Nathalie Henneberg et non celle de son époux Charles dont je possède deux échantillons très caractéristiques que je vous livre ici.

Charles Moreau (Copyright 2009)

Le Webzine OUTREMONDE nous présente dans la revue UNIVERS VIII un excellent article de Didier Reboussin qui connut bien Nathalie Henneberg : lien : http://outremonde.fr/index.php?/downloads/4