mercredi 21 août 2013

NAISSANCE D'UN ECRIVAIN DE ROMANS POPULAIRES IIe PARTIE


 PIERRE SALES (1856-1914) 
Pierre Sales en 1906

    Pierre de Sales naquit le 22 décembre 1856, à Trie sur Baïse (Hautes-Pyrénées) donc ni à Tric, ni à Tarbes, ni en 1854, comme l'ont affirmé beaucoup de journalistes de l'époque. Il était le fils de Jean, Rose, Élisabeth, Albert de Sales et de Émilie, Thérese Guénin. Son père exerçait la profession de Contrôleur des Contributions directes dans la région. Son éducation ne fut pas négligée pas plus que celle de son frère Bernard qui devint médecin.
Ce qui certain, c'est qu'il fit une partie de ses études à Tarbes (Hautes-Pyrénées) et à Toulouse, avant de monter à Paris pour y exercer très jeune la profession de journaliste. Mais auparavant, il voyagea en Angleterre, pays qui ne lui laissa pas que de bonnes impressions et à son retour, il entra dans une maison de banque et de commission avant de se consacrer au roman populaire, on verra dans quelles circonstances. On retrouvera ainsi, dès ses débuts, dans la plupart de ses romans, son goût pour les chiffres et les situations financières donc venant et de l'héritage paternel et de cette si brève formation bancaire qui lui permis de connaître la corbeille. Son goût pour l'écriture commença par se manifester dans de brèves nouvelles qu'il arriva à placer dans divers journaux, telle La Valse 12 dans La Vie Populaire (n°18) du 28 février 1884 et que, beaucoup plus tard, il réunira en un volume intitulé Mariage manqué (1888), publié chez Flammarion. La nouvelle Le Mariage manqué serait en fait la première qu'il aurait écrite (Le Gaulois (n°2172), du 9 août 1888.
    Son premier roman naquit dans des circonstances assez particulières qui sont relatées d'une manière très détaillée par Jean d'Epinay dans Le Matin (n°6085) du mardi 23 octobre 1900, sous le titre PIERRE SALES, Les débuts d'un romancier, chronique sur deux colonnes à la une, destinée à présenter l'auteur en l'honneur de la publication d'un nouveau grand roman dans le même journal et intitulé Les Habits Rouges qui avait été annoncé depuis de nombreux jours par forces articles. En tête des deux colonnes centrales, un portrait de l'auteur donnait une bonne idée du physique de celui-ci au début des années 1900 : «Il y a une quinzaine d'année (donc environ en 1885), une famille se trouvait réunie dans le jardin d'une villa avoisinant Paris et s'entretenait, non sans une pointe d'inquiétude, de la grave décision que venait de prendre un de ses membres, de quitter la voie des affaires, qu'il avait suivi jusqu'alors pour se lancer dans la carrières des lettres ; car, bien que le futur écrivain eût été un audacieux et un travailleur, on ne pouvait envisager, sans de l'angoisse même, l'inconnu vers lequel il se lançait, et où personne ne pouvait le guider ni l'aider, puisque ni lui ni les siens n'avait la moindre relation dans le monde littéraire. Et puis, dans le domaine immense du Livre, du Journal, du Théâtre, vers quel but précis se dirigerait-il ? Il avait bien fait quelques tentatives déjà, bouts d'articles, reportages, nouvelles à la main, même un essai de roman psychologique... mais tout cela si vague encore, si incertain ! Une aimable vieille tante lui dit tout à coup : - Fais donc du roman judiciaire, et tu seras lu. Le jeune auteur hausse dédaigneusement les épaules, jugeant la chose bien trop aisée pour lui ; et il le dit même, avec la belle exubérance de la jeunesse qui ne doute de rien : - Mais j'en ferai quand je voudrai ! - Essaie donc... Et tu verras que c'est peut-être plus difficile que tu ne l'imagines. - Bah !... Et... tenez ! A cet instant, on entendit le bruit d'un seau tombant dans un puits, commun à la petite villa et à un jardin voisin. - Tenez ! Un roman judiciaire ? Mais en voici un ! Et moitié rieur, moitié sérieux, il fait un pas vers le puits. - Vous avez bien entendu ce seau ?... Ou, du moins, vous avez cru entendre tomber le seau... Mais vous vous êtes trompés ; c'est... c'est … Il chercha bien vingt secondes. - C'est un cadavre... oui, un cadavre, qu'on vient... que nous venons, mon frère et moi... ou l'un de nous seulement, ou tout autre, à qui il plaira de nous accuser demain... Bref, c'est un cadavre qu'on vient de jeter là, la nuit. Et c'est... c'est... Encore dix secondes de réflexion : - Ce cadavre, c'est celui de notre oncle... que tout le monde attend d'Amérique... ou des Indes... et donc nous ignorions l'existence, il y a deux mois... Mais il nous a avisé de son retour, en nous annonçant qu'il était riche et, nous deux, si unis jusqu'alors, nous nous sommes brouillés, pour l'héritage à venir... Et, quand on découvrira ce cadavre, ici, demain matin, nous... nous nous accuserons mutuellement, et très injustement, puisque nous serons aussi innocent l'un que l'autre, et que le crime aura été commis par... par... Le conteur s'arrêta ; et voilà que, tout en ayant l'air de le blaguer, on l'écoutait, bouche bée. - Eh, bien ? Fit-on ! - Voilà... Diable ! Par qui le crime a-t-il été commis ? Eh ! Je n'en sais rien !... Et, d'ailleurs, si je le savais, ça n'aurait plus d'intérêt... puisqu'il faut que je le découvre !... Mais ce que je sais, pertinemment, c'est que chacun de nous a une fille... que ces filles sont aimées par d'aimables et courageux jeunes gens, qui vont prendre notre défense, se battre, se réconcilier... et puis... et puis découvrir le criminel, en allant aux Indes... ou en Amérique... Et que cela se terminera par deux mariage. Le conteur en resta là. On se moqua de son histoire, et il fit chorus avec les moqueurs. Mais une clairvoyante sollicitude veillait sur lui, et lui disait, le soir même : - Savez-vous que, malgré tous les rieurs, c'est le début d'un charmant roman que vous nous avez conté là ? - Croyez-vous ? Et cela plairait, sûrement, aux lecteurs du Petit-Journal. - Tiens !... Qui sait, après tout ?... Et dans la nuit même, le jeune auteur bâtissait son plan ; et le jour était à peine levé, le lendemain, qu'il commençait de l'écrire. Cinq semaine plus tard, le roman était achevé... »
     Pierre Sales porta son manuscrit, le déposa dans une case de la conciergerie du Petit-Journal et trois semaines plus tard, une lettre de l'éditeur Marinoni le convoquait pour lui apprendre que son roman allait paraître dans le journal, un mois après. Ce premier roman publié s'intitule Le Puits mitoyen et suis fidèlement le plan imaginé devant nous par l'auteur qui y rajouta une seconde partie se déroulant aux Indes beaucoup plus animée et pleine d'aventure où nos deux « détective », le mot n'est pas prononcé, recherche le criminel et ses complices. L'histoire se finit comme prévue par deux mariage. Le roman de Pierre Sales se lit facilement et vaut bien par son réalisme toutes les intrigues caviardées de nos romans policier actuels. Il paru donc dans ce fameux Petit-Journal (n°8087) le dimanche 15 février 1885 jusqu'au 23 mai de la même année. L'article de Jean d'Epinay précise qu'il remporta « un très jolie succès malgré la jeunesse et l’inexpérience de l'auteur». Succès confirmé par l'édition en volume, la même année et chez Calmann-Levy.
Pierre Sales écrivit d'autres romans judiciaires avec des intrigues plus complexes et empreintes parfois de considérations psychologiques et sociales importantes. Mais il fit mieux lorsqu'il publia Le Sergent Renaud (Flammarion, 1898), ce que confirme Jean d'Epinay vers la fin de son article « certainement l’œuvre la plus touchante que Pierre Sales ait écrite. Ce fut ajoute-t-il une révolution dans le roman populaire. Plus de crimes ! Plus d'horreurs ! Plus d’invraisemblances ! La vie toute nue ; les types que nous rencontrons chaque jour ; les moyens d'action les plus simples ». « Le succès en fut prodigieux. Et dès lors, Pierre Sales, entraînant l'immense public avec lui pouvait lui donner tout autant des études que des romans, le promenant dans tous les mondes, dans toutes les industries, faisant la campagne du Tonkin avec Viviane (Le Petit Parisien, 1890), descendant dans les mines d'Anzin, avec Miracle d'Amour (Le Bon Journal, 1894), parcourant les usines, les filatures du Nord avec L'Enfant du Péché (Le Petit Parisien, 1896) , les tissages de Normandie avec Femme et Maîtresse (Le Petit Parisien, 1892), courant à la folie du Carnaval de Nice avec Le Corso Rouge (Le Petit Parisien, 1892-1893), et tout récemment faisant vivre tout le Transvaal et la fièvre des mines d'or à Paris, avec La Course aux Millions (publié dans le Petit Parisien sous le titre La Mariquita, 1897, le titre global donné plus tard par Flammarion et Fayard sera La Course aux Millions)... »
Charles Moreau
21 août 2013
Copyright 2013

Aucun commentaire: