mercredi 7 novembre 2012

ANDRÉ MARTEL, éditeur et imprimeur à Givors


LE PREMIER EDITEUR DE BESTSELLERS EN FRANCE D’APRÈS-GUERRE ?
C’est à coup sûr André Martel.

Et pourtant, si l’on cherche dans la gigantesque Histoire de l’édition française (Promodis, 1983-1986), le nom d’André Martel, on ne le trouve qu’une seule fois sous la signature d’Alfred Fierro (p. 134) : « … André Martel, à Givors, avec 19 titres, surtout des romans policiers (1950) ». Ce qui est tout à fait inexact. Quant à L’Edition française depuis 1945, publié sous la direction de Pascal Fouché, Edition du Cercle de la Librairie, 1998, elle ne le mentionne même pas. Idem pour le récent Dictionnaire des Littératures Policières (2003, révisé 2007) du méticuleux et méritant Claude Mesplède, il ne le signale même pas comme éditeur de collections policières. On le voit le temps et le parisianisme causent toujours des dégâts à la province...



Dans son étude sur la Naissance des Bestsellers (1967), l’essayiste et critique allemand, Curt Riess, se penche sur le phénomène tel qu’il apparaissait au 20e siècle avec un immortel roman fleuve américain sur la guerre de sécession, Autant en emporte le vent (1936) de Margaret Mitchell, il désignait ensuite, si l’on se réfère à l’ordre chronologique La Marquise des Anges (1957) d’Anne et Serge Golon. Mais il ne s’apercevait pas qu’entre les deux il y avait, en France, un formidable roman de 960 pages intitulé Marie des Iles dont l’auteur n’était autre que Robert Gaillard, écrivain déjà confirmé à l’époque et récompensé par le Prix Renaudot, en 1942, pour son roman Les Liens de Chaîne. Robert Gaillard, était grand reporter, avait voyagé avec toute sa famille à travers le Mexique, l'Amazonie et les Antilles... C'était, en outre, un spécialiste de l’histoire de la marine qui s’intéressait aussi bien à l’histoire qu’à l’infiniment petit. De plus, il avait publié aux Editions du Bateau Ivre, un gros roman d’aventures L’Homme de la Jamaïque (1947) qui serait repris quelques temps plus tard, en 1951, par un jeune et dynamique imprimeur-éditeur, André Martel, après que Gaillard l’ai remanié et qui avait publié précédemment en 1948, le fameux roman Marie des Iles, une saga qui laissait loin derrière elle, par ses assises historiques et par sa superbe liberté de ton, ce qui était novateur à l’époque, l’immortel chef-d’œuvre de Margaret Mitchell.

André Martel était né à Paris, le 27 mars 1917, d’Anne Marie Hélène Bur, une lingère de Neuilly, et Lucien Michel Charles Martel qui ne le reconnu que le 20 novembre 1932. Les Martel étaient une famille d’imprimeurs, établie depuis longtemps semble-t-il à Givors. L’enfant fut légitimé à 18 ans par le mariage de Lucien Michel Charles Martel et de Bur Anne Marie Hélène, célébré à Givors le 20 février 1935. Après la défaite, il fut fait prisonnier et envoyé en Allemagne où il resta en captivité jusqu’à la Libération. De retour en France, en 1946, il se maria le 6 août à Lyon avec Micheline Rosa Jouffroy.

La même année, il débuta son activité d’éditeur-imprimeur au 45, rue de Belfort (à présent, la rue Roger Salengro) à Givors avec la publication du Père Goriot de Balzac, premier livre d’une édition semi-luxe de l’œuvre du grand romancier dont chaque volume était préfacé par Maurice Bardèche, un des meilleurs balzaciens de l’époque et qui sera poursuivie jusqu’en 1951, avec 30 autres volumes. Comme il adorait le roman policier dont le genre va se développer presqu’au même moment en France, il se lança dans la publication de l’œuvre de Sir Arthur Conan Doyle et publia deux Sherlock Holmes : Le Signe des Quatre et Une Etude en Rouge et planifia la publication des autres romans du célèbre détective. L’année suivante, en 1947, il publiera deux autres Sherlock Holmes : Le Chien des Baskerville et La Bande mouchetée. En 1948, il entame la publication de l’œuvre complète de Victor Hugo (33 volumes) qui se poursuivra jusqu’en 1955. Tache surhumaine pour un éditeur de province.



La publication de Balzac et de Victor Hugo l’amène à connaître de nombreux artistes (notamment ceux qui illustrent les romans de la collection) mais aussi des écrivains qui sont déjà célèbres. Il fait la connaissance de Robert Gaillard qui, revenant d’un voyage en Amérique du sud et dans les Antilles. lui amène un énorme pavé de près de mille pages inspiré par les manuscrits découverts dans les archives de la Martinique. De quoi faire réfléchir les plus grands éditeurs parisiens qui l’ont refusé.

Risque tout, il prépare la publication du roman qui sortira de ses presses au début de l’année 1948 et ainsi, il publie le premier bestseller français avec Marie des Iles, roman fleuve de Robert Gaillard qui lui donnera deux suites, tout aussi imposantes : Marie Galante (1949) et Le Capitaine Le Fort (1950). Le tirage de Marie des Iles atteindra les 250 000 exemplaires. C’est un énorme succès d’édition. Le roman se verra d’ailleurs réimprimé plusieurs fois : une édition de luxe à tirage limitée en 2 volumes et une édition en 22 fascicules illustrés par deux dessinateurs différents (supplément à la revue Omnibus). En 1957, Marie des Iles reparaîtra en deux volumes avec des couvertures (Brantonne) différentes de celle de l’édition de 1948.

En 1950, André Martel divorce pour se remarier tout aussitôt le 21 décembre avec Huguette Henriette Marcelle Vugier.

En 1951, il publie L’Homme de la Jamaïque révisé par son auteur, Robert Gaillard, roman qui était déjà paru aux Editions Le Bateau Ivre, en 1947. C’est le début d’une longue série de cinq romans consacrée à un moderne aventurier des îles, inspirée par le découvreur Fernand Fournier Aubry qui avait parcouru de long en large toute l’Amérique du Sud et de nombreux autres pays.

Gaillard, alors au plus haut de son talent, qui lui remet roman sur roman et qui est devenu son auteur vedette mettra encore en chantier une trilogie sur les Conquistadors, Les Conquérants de l’El Dorado. En 1952, André Martel sort le premier volet Cristobal Colon, un des meilleurs romans consacré au grand explorateur et dans la foulée le second, Les Dieux sont revenus (1953) qui retrace la conquête du Mexique par Hernan Cortès. Le troisième consacré à Francisco Pizarro ne sortira que très longtemps plus tard. Ces deux premiers romans du cycle se verront couronnés par l’Académie Française. Il publiera plus d’une vingtaine de romans de Gaillard et ira même jusqu'à lui confier la direction d’une collection « Mers et Terres ». En 1956, la fructueuse collaboration s’arrêtera avec le départ de Robert Gaillard pour une autre maison d’édition, le Fleuve Noir...



Mais Gaillard n’est pas le seul fleuron des Editions Martel, d’autres auteurs y ont eu leur place tels que l’acteur Erich Von Stroheim avec Paprika et sa suite Les Feux de la St Jean, ou le futur mercenaire Roger Delpey dont les tirages des Soldats de la Boue atteindront ceux de Marie des Isles à la meilleure époque. Si l’on considère l’ensemble de la production des Editions Martel on peut dire qu’elle relève de choix éclectiques et murement réfléchis. L’œil de l’éditeur tient compte de toute son époque notamment quand il publie la première Histoire du Cinéma de Maurice Bardèche et Robert Brasillac, en 1948, et ne se limite pas qu’au policier, à l’aventure dans toute sa gamme, à la science-fiction, au fantastique et au roman historique. Gardant un œil sur le cinéma, il publiera les meilleurs westerns de Paul I. Wellman, Les Murs de Jéricho, La Maitresse de Fer ou Les Comancheros. L’humour aussi aura une place de choix avec les excellents Pierre Dac et Francis Blanche (Malheur aux Barbus, 1952). La politique aussi, et l’éventail va de la droite à la gauche. Du procès de Philippe Pétain en passant par Le Troisième Reich et à la guerre d’Algérie, dans les maquis du FLN. Les mœurs non plus ne seront pas oubliées. Et le pire surviendra avec les romans de soldatesque, peu nombreux, où André Martel se fera interdire par la censure, ce qui lui vaudra malgré tout de figurer dans l’énorme Dictionnaire des livres et Journaux interdits (Par arrêtés ministériels de 1949 à nos jours) de Bernard Joubert (2007). Enfin il fera scandale lorsqu’il publiera L’Adorable Métisse (1953) et sa suite Sainte-Marie de la Forêt (1954) d’Albert Paraz, l’ami secourable de Ferdinand Céline, avec une préface du Maréchal Juin. Plus tard, dans les années soixante et soixante dix, il publia de petites collections de romans policiers et d’espionnage et même une revue d’histoire de Blagues.

En 1973, l’imprimerie Martel subit un important incendie dont l'entreprise ne se releva pas. André Martel arrêta alors son activité d’éditeur en 1975. André Martel est décédé le 19 avril 2004 à Lyon et est enterré à Givors.

En conclusion, après cette brève évocation, les écrivains de l’histoire littéraire feraient bien de se pencher sur le cas André Martel car cet éditeur flamboyant a incontestablement marqué son époque et a fait œuvre à plus d’une reprise de novateur ainsi que nombre de ses auteurs.

Charles Moreau.
(Copyright, 2009)

5 commentaires:

jean-yves a dit…

hello! merci pour toutes ces infos sur Martel ( et les autres sur votre blog !) , qui m'ont donné l'envie de farfouiller sur le net : j'ai mis tout çà ici :http://litteraturepopulaire.winnerbb.net/historique-des-maisons-d-editions-f30/edition-andre-martel-t2290.htm#19261
incroyable que cet éditeur soit si peu référencé .cordialement

Charles Moreau a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Charles Moreau a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
jean-yves a dit…

hello ! quelques petites corrections de dates et surtout un listing des parutions andré martel année par année ( en cours ) : encore merci d'avoir initié cela et n'hésitez pas si vous avez d'autres infos :) cordialement jy

jean-yves a dit…

bonjour ! afin d'étoffer la page edition martel sur le forum " litpop" , serait-il possible de recuperer vos informations ( en vous citant evidement ) , pas pour " pomper" mais pour offrir le maximum d'infos sous une meme page ? si oui , sous quelle forme pourrais-je le faire ? merci par avance de votre reponse ; bien cordialement jean-yves