mercredi 7 novembre 2012

AU CŒUR DE LA SF FRANCAISE, UN SECRETAIRE GENERAL À L’INFORMATION DU GOUVERNEMENT DE VICHY...



En 1972 PIERRE VERSINS dans sa monumentale Encyclopédie de l’Utopie et de la Science Fiction déclare à propos de B. R. BRUSS (un des meilleurs auteurs du Fleuve Noir «Anticipation» et «Angoisse»), sans trop s’étonner et occultant une biographie de 50 années et le faisant surgir telle Minerve toute armée de la tête de Jupiter : « en outre, c’est à 50 ans seulement qu’a commencé sa carrière avec Et la Planète sauta (1946)».
VERSINS ne remarque pas, tout comme son confrère GERARD KLEIN, un peu plus tôt, dans sa préface à ce même roman publiée dans la collection AILLEURS ET DEMAIN – CLASSIQUES (1971) que l’action de ce roman prophétique sur les méfaits de l’ère atomique débute en 1925 (il peut très bien avoir été écrit en partie à cette époque) et est publié en 1946. Quant à JACQUES BERGIER, dans sa préface à L’Apparition des Surhommes (1970) aux EDITIONS RENCONTRE, ne pouvant ignorer lui-même qui est cet auteur de par ses anciennes fonctions, enterre sa première carrière avec prudence et par le côté le plus dangereux : « B. R. BRUSS est le pseudonyme d’un homme politique et écrivain français qui est très discret sur sa biographie… ». Et pour cause !!! Cet honnête homme de BERGIER, l’un des hommes les plus informé sur VICHY, n’aime pas faire du tort.
Quant à JEAN-PIERRE ANDREVON qui dans une chronique littéraire (in Fiction n°217, janvier 1972) intitulée un peu abusivement B. R. BRUSS avant le FLEUVE NOIR fait le point à la fois sur ce qu’il croit être l’œuvre antérieure de l’auteur et sa production assez importante mais raisonnable de l’époque au FLEUVE NOIR et qui revient un peu plus tard après pour un entretien (in Fiction n°258, juin 1975), le 28 juillet 1973, au châtelain des Grèges dans la Haute Loire qu’il a découvert sous son pseudonyme de ROGER BLONDEL dont l’œuvre superbe et différente de celle du FLEUVE NOIR commence à avoir de l’importance chez GALLIMARD et surtout chez LATTES et qui ne peut ignorer son véritable nom de RENE BONNEFOY, il commence à comprendre qu’il a en face de lui un auteur incomplet.
C’est que RENE BONNEFOY, sous ce nom, a eu dans le passé une œuvre d’écrivain bien différente de celle du FLEUVE NOIR encore que parfois elle ait flirté avec la science-fiction et le fantastique. Né le 16 décembre 1895, à Lempdes sur Alagnon (43), il devient journaliste professionnel après s’être distingué à cinq reprises dans la terrible guerre de 14-18 et avoir obtenu la médaille militaire en 1918. Il travaille pour plusieurs journaux dont Le Petit Journal dès 1923. Il rencontre un «pays» ambitieux, Pierre LAVAL dès 1925. On le retrouve en 1927, à la tête du Moniteur du Puy de Dôme dont il devient le rédacteur en chef, Pierre LAVAL ayant acheté ce journal et lui faisant confiance en tant que technicien de l’information.


Il publie son premier roman Gilberte et l’Autorité (1928) qui parait Au Sans-Pareil, Collection «Le Conciliabule des Trente» et bénéficie d’une préface mystérieuse du directeur de collection qui semble s'il l'a rencontré seulement pendant une heure n'avoir jamais pu discuter de son oeuvre avec lui. En 1930, Il publie son second roman qui est un roman de SF un peu à la manière de Rodolphe Bringer, presque un roman picaresque, Bacchus Roi (Nouvelle Société d’Edition) et qui fait réapparaitre les dieux de la Mythologie grecque dans un monde de fantaisie. Et ensuite c'est Tête à Tête aux Editions du Portique. Ce sont ses premières incursions dans la sf et dans le fantastique qu’il a l’air d’apprécier. La même année, la Nouvelle Société d’Edition publie un roman pour enfants sous le pseudonyme de Jacques HURIEL : Le Merveilleux Voyage de huit petits enfants au pays des Moteurs. A l’intérieur du livre, c’est son véritable nom de René Bonnefoy qui apparaît au lieu de celui de Jacques HURIEL, un pseudonyme supplémentaire. En 1931, paraissent deux autres romans : Plaque tournante et La Roche noire à la Nouvelle Société d’Edition. En 1932, Cette année-là parait avec un ton plus promotionnel, et grâce à LAVAL, un Aspect de Royat illustré de 9 lithographies de l’auteur ce qui indique ses goûts marqués pour la peinture. Ce sera sa dernière œuvre publiée avant sa carrière politique mais il ne cessera pas pour autant d’écrire, hélas !
Dès septembre 1940, René Bonnefoy dominé par LAVAL est mis à la tête de la rédaction en chef du Journal parlé. Mais c’est pour peu de temps et il est remplacé en décembre. A la fin de l’été 1942, Laval, de retour aux affaires, place ses partisans dans toutes les administrations, non sans avoir écarté les fidèles du Maréchal Pétain. René Bonnefoy devient alors son Secrétaire Général à l’Information d’où il dirige la censure de la presse. Il est « l’homme de confiance de Pierre Laval au ministère de l’Information… » Suivant le journal La Petite Gironde (n° 25800) du 20 juillet 1943, René BONNEFOY fait un voyage en Allemagne où il conduit un groupe de journaliste français de la zone sud. Enfin, Pierre Laval lui confie la direction de l’Agence de l’OFI, le 11 aout 1943. Il a alors l’occasion d’exprimer ses opinions dans un organe gouvernemental, La Politique Française, dans trois numéros de la fin de l’année 1943.
Lorsque Vichy s’effondre, il est le dernier à partir de son poste. A la Libération, il disparaît et lorsque les principaux membres du gouvernement de Vichy sont jugés en juin 1946 (sentence du 17 juillet 1946), il est aussi condamné à mort par contumace pour collaboration et à la confiscation de ses biens.
Il mène une vie d’errance et se cache à Paris d’où il écrit le 3 juillet, sans sa documentation et sans ses archives, une série de notes en prévision de sa défense qu’on retrouvera dans les archives américaines publiées chez PLON, en 1957, sous le titre La Vie de la France sous l’Occupation (1940-1944). Sa défense est classique : il était un haut fonctionnaire et non un acteur politique du gouvernement. Il n’a jamais pris de décisions politiques mais il a pratiqué la censure.
Lorsque les différentes amnisties commencent à jouer, dix ans après, il se rend à la police au début de janvier 1955 et passe devant la HAUTE COUR DE JUSTICE où il est entendu longuement et rejugé en janvier 1955. Il est condamné, le 26 janvier, à la dégradation nationale à vie et à 5 ans d’indignité nationale le 15 mars 1955. L’Aurore du 16 mars annonce sa condamnation et publie sa caricature en première page ainsi qu’un article.
Il est certain que ses différents pseudonymes l’ont couvert dans toutes ses manifestations et ont trompé beaucoup de monde. Par ailleurs, ce fut aussi un homme fort discret. On peut regretter que cette si triste carrière politique ait empêché une carrière littéraire qui s’annonçait très prometteuse.

CHARLES MOREAU

3 commentaires:

Malone a dit…

Mais quel talent !!

Toi et Bruss bien sûr

Amicalement

Patrick Clot

Heresie a dit…

Fantastique auteur ! Je lis d'ailleurs en ce moment Terreur en plein soleil.
Vite la suite !

Bonne continuation !

Herb a dit…

Bonjour M. Moreau. Un grand merci pour votre blog très intéressant. Vous écrivez : „Il est condamné, le 26 janvier, à la dégradation nationale à vie et à 5 ans d’indignité nationale le 15 mars 1955.“ J'ai recherché les termes „indignité nationale“ et „dégradation nationale“ sur internet. Résultat : le premier est un crime, le deuxième sa punition. On peut donc commettre une indignité nationale, mais on ne peut pas être condamné à une indignité nationale, autant qu'on ne peut pas être condamné à un vol ou un meurtre. Je vois bien la photo de l'article dans L’Aurore du 16 mars (c'est bien cela?) intitulé „Cinq ans d'indignité nationale à Bonnefoy“. Je penche à considérer ce titre comme une bévue journalistique. Pouvez-vous résoudre cette contradiction apparente ?