mercredi 7 novembre 2012

NUIT ET JOUR : un empire de presse de l'après-guerre


André Beyler (1957)


NUIT ET JOUR, UN EMPIRE DE PRESSE DE L'APRÈS-GUERRE

Plusieurs faits m’ont conduit à m’intéresser d’une manière beaucoup plus proche à l’histoire de M. André Beyler et à son groupe de presse d’après-guerre. D’abord, j’avais été lecteur d’au moins trois de ses journaux dans ma jeunesse.
Une revue figurait dans ces publications, c’était Galaxie : « Pourquoi un éditeur de journaux publie-t-il tout d’un coup une revue d’Anticipation dont l’édition originale était américaine ? » Cette revue, je l’ai lue tous les mois pendant des années jusqu’à sa disparition, de 1953 à 1959.
Un livre récent du journaliste écrivain Martin Monestier, Faits-Divers, sous-titré Encyclopédie contemporaine et cocasse, 2004, qui frôle la malhonnêteté à certains égards et un article sur la presse contemporaine dans un volume de M. Louis Guéry, intitulé Visages de la Presse" (Editions Victoires, 2006) dont le moins que l’on puisse dire, c’est que l’un de ses visages était horriblement défiguré, ont tous deux attiré mon attention. Dans les deux cas, il y avait entre les prétentions affichées par les auteurs et les descriptions qu’ils donnaient de ces journaux, une telle distorsion que l’on ne pouvait qu’être forcé d’y porter un regard critique.
Le livre de Martin Monestier aurait pu être réussi, s’il était allé jusqu’au bout des choses. Mais après une entrée assez fouillée sur le plan littéraire du fait divers, il en entreprend le recensement systématique avec une volonté encyclopédique insuffisante, on ne sait trop à partir de quelles sources précises sur l’origine de ces faits divers. Le problème, c’est que pour rendre attrayant l’ouvrage, il plonge dans l’imagerie de deux journaux, Radar et Détective, qu’il regroupe sous forme d’une documentation intitulée pompeusement « Radar-Détective ». De ces deux journaux, il ne nous dit rien et n’en fait même pas une présentation historique. Mieux il encense un dessinateur en mettant ses dessins signés pleine page et s’empare, par ailleurs, des unes au lavis du seul et véritabledessinateur de Radar, le grand Rino Ferrari, en effaçant le bandeau titre du journal et la signature de l’artiste qui figurait toujours en bas de page sur plus de 600 numéros inoubliables (signalons que le journal atteignit près de 700 numéros). Je ne discuterai pas ici du talent de M. Di Marco, mais il faut reconnaître que celui de M. Ferrari était de loin le plus éclatant, le plus réussi plastiquement et le plus magistral. Lui voler une partie de son œuvre était impardonnable. Et je prouverai pourquoi.
Pour en venir à l’article de M. Guéry – en fait, c’est plutôt une notice faisant une description inexacte d’un journal que j’avais beaucoup aimé, Radar - , il donne dès sa première ligne une définition de cet hebdomadaire très péremptoire : « La presse d’épouvante, c’est Radar, un curieux journal ! » ... montrant par là qu’il ignore tout des origines du journal qui reprenait une formule qui, en France et en Italie, à la même époque et même à d’autres, faisait fortune avec par exemple un journal comme la Domenica del Corriere dans ce dernier pays. Puis il poursuit : « Il s’agit d’un hebdomadaire au format 560x390 qui comporte 16 pages dont 11 de photos… de faits divers essentiellement. Il est entièrement en noir et blanc et la couverture représente une scène tragique qui est toujours un dessin au lavis… ». Cette description semble figée sur un spécimen cadré dans le temps. Il y n’y avait pas seulement des lavis, mais aussi des photos qui couvraient dès le départ une page entière. Ainsi pour donner un exemple, en 1952, la une du numéro 160 du 2 mars montrait un superbe portrait de Marie Besnard la tête recouverte d’une mantille noire… Je suppose que Rino Ferrari n’avait pas voulu dessiner le portrait de cette femme tragique… Les héros lui allaient bien (De Lattre, Cerdan) ou les anonymes mais pas les empoisonneuses… Poursuivons : « Lorsque dans les pages intérieures une photo manque on la remplace par un dessin. Ainsi la page 2 de ce numéro du 29-11-1953 (n°251 non indiqué) est consacrée à la reconstitution du crime de Lurs au cours de laquelle Gaston Dominici a tenté de se suicider. Malgré un certain succès, puisque son tirage monte jusqu’à 480 000 exemplaires, Radar disparaît en 1957. » En fait, le journal devait se poursuivre jusque vers la mi-juin 1962. On le voit cette notice est insuffisante et inexacte.
J’éviterai de parler de l’article de WIKIPEDIA sur Radar qui est un tissu d’erreur avec une absence totale de recherche.

(L'empire Beyler vu par Rino Ferrari en 1952)

ANDRE BEYLER
André Luc Beyler est né le 14 juillet 1916 à Malzeville (54). Son père est à ce moment-là sous-lieutenant au 356e régiment d’Infanterie, sa mère Clémence Marguerite Renaud est modiste à Malzeville. Sa famille est d'origine alsacienne. Après une scolarité normale, il entreprend une formation de juriste (Le Journal de la Presse, n°43, 18-31 décembre 1978). Durant la guerre, il est officier parachutiste auprès du Général de Gaulle, chargé d'apporter argent et armes à la résistance. Il est blessé en mission à la colonne vertébrale et il en gardera des séquelles toute sa vie. Il sera fait Commandeur de la Légion d’Honneur, c’est ce qu’il affirmera dans une longue interview du Journal de la Presse (n°43) du 18 au 31 décembre 1978, alors que l’un des fleurons de son empire était menacé par la Commission des publications destinées à la jeunesse (on devrait dire plutôt la Commission de Censure de la presse).
Après la guerre, il emprunte auprès d'une banque pour créer sa Société d'éditions le 11 janvier 1945 (Tribunal de Commerce du 10 janvier et Gazette du Palais du 10-12 janvier 1945). Sous la formule, Qui ? Le Magazine de l’énigme et de l’aventure, André Beyler publie dans un premier temps à partir du 16 mai 1946, 5 numéros surprenants reprenant des textes américains du grand William Irish, Robert Bloch, et même les premiers textes d’après guerre de Jacques Bergier (Où va la Télévision ?, n°1, 16 mai 1946, Fontaine de Jouvence, un article sur le fameux sérum du russe Bogomoletz (n°3, 13 juin 1946) etc… et des articles qui lui ont été cédés en même temps que le journal fondé en 1923 par Gallimard qui à la Libération préféra se débarrasser de ce journal qui lui valait de nombreuses critiques ; peu de temps après cet achat, André Beyler abandonne sa première formule et il publie le n°6 sous le titre de Qui, l’Hebdomadaire du fait divers le 1/8/1946 qui ne s’intéresse plus, lui, qu’aux faits divers policiers. L’aventure n’est plus à la une et les énigmes sont moins nombreuses, plus véridiques et tragiques. Entre temps, il rachète à la Sarl Rêves (gérant Pierre Roux), un journal féminin, Rêves qui avait débuté en mars 1946 et le relance la même année. Plus tard, avec l’aide financière de la Banque SAINT-PHALLE, il publiera un nouveau journal, Radar, le 13 février 1949 et en mars 1950, Horoscope, une revue qui existe encore aujourd’hui, ainsi qu’en novembre 1953, le magazine d’Anticipation dont je parlais plus haut, Galaxie.
Donc, ce jeune officier avait de l’ambition et même était assez visionnaire. Curieusement on peut faire un rapprochement de sa trajectoire journalistique avec celle de Maurice Renault dans le domaine de l’édition : on peut d’ailleurs penser que tous deux devaient peut-être bien se connaître ou tout au moins connaître leurs ambitions qui étaient presque similaires au départ et puis se diversifièrent rapidement l’une du coté littéraire, l’autre du coté journalistique. Ajoutons que la revue policière d’André Beyler parait le 16 mai 1946 bien avant Mystère Magazine qui ne paraitra qu’en 1948. Ajoutons encore que la revue Fiction, l’édition française du magazine américain Fantasy and Science Fiction que publient les Editions Opta de Maurice Renault, parait juste un mois plus tôt que Galaxie en octobre 1953. Cela fait beaucoup trop de coïncidences. On peut y voir l'influence peut-être de Jacques Bergier. Par ailleurs, Fiction aborde le genre avec beaucoup de prudence et prend ses références dans les classiques du fantastique français et étranger et de l’anticipation qu’elle veut aborder. Galaxie, édition du magazine américain Galaxy, pénètre de but en blanc dans la SF américaine sans prendre de gants et donne directement les chefs-d’œuvre du genre (Dans le Torrent des siècles de Clifford D. Simak et Les Cavernes d’Acier d’Isaac Asimov) même si les traductions laissent à désirer. Et elle continuera avec des romans extraordinaires d’Alfred Bester (Terminus les Etoiles) et de Frederick Pohl (Assurance pour l’Eternité, sous pseudonyme). Pour accentuer les choses, Maurice Renault avait depuis les années 20, une société de publicité, Opta, à laquelle il ajoutera après guerre, ses revues et ensuite des livres policiers et de science-fiction et André Beyler, de son côté, créera la sienne sous le label Nuit et jour.
Mais si à la libération, André Beyler édifie patiemment pendant quelques années son entreprise, il va jouer un rôle important dans le domaine de la presse, celui d’un trublion et arriver à une position surprenante pour défendre son empire.
Radar semble avoir été son œuvre majeure car il se focalisait dans l’actualité et en donnait une image vivante remarquable à un moment où il n’y avait pas la télévision. A cette époque, il était de mise de ne pas se moquer du monde et on trouvait lorsqu’on allait assister à une séance de cinéma, en première partie, avant les grands films, dans toutes les bonnes salles, non seulement des petits films d’aventures ou des Sérials américains (Aventures échevelées, serials policiers où dominait Boris Karloff, Westerns et même de l’Héroic Fantasy avec Galahad) mais aussi des actualités, (Gaumont, Pathé et Fox Movietone selon les salles) sur de grands évènements, sur des faits politiques, ainsi que des anecdotes sur les grandes vedettes de ce temps-là. Mais la Télévision était à venir qui allait détruire cet âge d’or.
Radar correspondait un peu sur le papier à l’équivalent cinématographique décrit ci-dessus. Il contenait de très nombreuses photos qui venaient du monde entier, de la politique, du fait divers extraordinaire, des histoires fabuleuses sur de grandes dames de l’époque, reine d’Angleterre, reines du cinéma et reines du Show-biz. Les héros, bien sûr, n’étaient pas oubliés. Ni les romans. Ni la bande dessinée qui avait son grand maître, Rino Ferrari.
En fait, Radar allait disparaître devant la concurrence de Paris-Match dont le premier numéro parait le 25 mars 1949 et un peu avant que les actualités cinématographiques ne soient supprimées à leur tour. Ces deux hebdomadaires étaient trop semblables et dans le grand combat qu’ils se livrèrent l’un des deux devaient s’en aller dans les années soixante. Lorsque Radar s’arrête en 1962, Galaxie a été supprimée en 1959 (là, c’est Maurice Renault qui a gagné en se diversifiant dans le domaine littéraire et en accordant de bons traducteurs à ses textes), l'empire d'André Beyler va être réduit à Horoscope qui marchera toujours bien, la crédulité des femmes ou des hommes comme on voudra fonctionnant toujours bien et à Détective qui basé sur le tragique de l’humanité depuis la mort d’Abel fascinera toujours un énorme public.
André Beyler se maria à Cudot dans l’Yonne le 14 décembre 1955 à Sara Micheline Sterkers qui allait lui être d’une puissante aide dans l’Administration de l’empire qu’il avait créé et qui demeura jusqu’à sa mort en 2009 la mémoire vive de l’entreprise. André Beyler est décédé le 24 août 1981, à Deauville (Calvados).
On ne peut pas quitter André Beyler, sans dire quelques mots de l’homme de presse. Peu après la Libération, une loi de 1947 créa les NMPP (voir sur Internet l’excellent ouvrage de M. Bernard Girard : Des Journaux plein les mains, sur l’Histoire des NMPP 1945-1990). Cet organisme était composé de cinq coopératives de presse et André Beyler prit sa place dans la cinquième, la Coopérative des publications parisiennes qui associait Paris-Soir, Cinémonde et ses publications (Qui Police, Qui Détective, Rêves…). Ces coopératives de journaux pouvaient sous-traiter les tâches matérielles de la diffusion mais devaient, alors, assurer un contrôle de la gestion des entreprises auxquelles elles confiaient cette tâche. Le 16 avril 1947, ces coopératives avaient signé un protocole d'accord avec la Société de Gérance des Messageries, filiale de la librairie Hachette donnant naissance à une entreprise unique en Europe et même dans le monde. Bien que la nouvelle société soit une SARL, elle fonctionne sur le modèle coopératif et ses tarifs sont fixés "de telle manière que les frais généraux sont répartis entre tous les titres transportés proportionnellement à leur chiffre d'affaire".
André Beyler allait y mener un premier combat en maintenant un prix de vente de son journal Radar envers et contre tout au grand mécontentement de ses associés et au risque d’être accusé de dumping. Placé où il est, il protège ses journaux en s’assurant qu’ils ne manqueront pas de papier. C'est nécessaire car pour la bonne reproduction des photos Radar est un journal imprimé sur un papier de composition chimique particulière, fabriqué suivant des procédés spéciaux (Radar n°226 du 7 juin 1953, Couronnement d’Elisabeth ll.)Vers la fin de 1957, il se rend compte que Radar ne semble plus adapté à l’époque et il en change le format si bien qu’il ressemble plus à un frère jumeau de Paris Match, cet hebdomadaire qui lui fait de l’ombre depuis mars 1959.
Voici le portrait que L’Echo de la Presse et de la Publicité (N°328, 1er octobre 1957) dresse de lui : « M. Beyler, on le sait ne s’occupe pas exclusivement de Radar. Président-directeur général de la société « les Editions Nuit et Jour », (S. A. au capital de 10 millions), éditrice de Radar, il est également le grand patron des périodiques Rêves, Qui ? Détective, Horoscope et Galaxie. Il dirige d’autre part l’agence de Presse « Coordination » (qui alimente principalement les journaux du groupe) et enfin, il séjourne très fréquemment à Bordeaux où il assume les lourdes responsabilités de président-directeur général du quotidien La Nouvelle République du Sud-Ouest. Sur le plan syndicat professionnel, on le trouve président de la Société professionnelle des Papiers de Presse et vice-président de la Fédération Nationale de la Presse Hebdomadaire et Périodique.
On le voit en 10 ans le chemin parcouru était important. Et lorsque les périodes de crise se présentèrent a plusieurs reprises, avec en 1978, l’interdiction de Détective dont les affichettes plus que le contenu de la revue firent un véritable scandale au cœur de la commission des publications remontant jusqu’au Ministère, André Beyler avait de quoi se retourner et retomber sur ses pieds.


(André Beyler (1978)


Dans son remarquable Dictionnaire des livres et journaux interdits – par arrêtés ministériels – de 1949 à nos jours, (Cercle de la Librairie, 2007), Bernard Joubert à longuement relaté à la rubrique Détective, les démêlés homériques entre André Beyler et les censeurs. N’ayez pas peur d’aller consulter cette œuvre, immense monument dû à l’iniquité des Censeurs qui sous couvert de protéger la jeunesse censuraient, en fait, tous les adultes. Imaginez ce qu’ils pourraient faire aujourd’hui s’il n’y avait pas Internet. Mais Internet est menacé...

CHARLES MOREAU
COPYRIGHT JUIN 2010

2 commentaires:

jean-yves a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
A. Chabrier a dit…

Bonjour, article vraiment très instructif, merci! Votre entretien avec Rino Ferrari est aussi très riche. Est-il possible de vous joindre car je m'intéresse de près aux journaux Nuit et Jour d'après-guerre. Merci d'avance, cordialement A.C