Dahlia/Val d’Ore
13260 Cassis,
29 Mars 1977
Madame Nathalie Henneberg,
15 boulevard des Invalides,
75007 Paris.
Chère Madame et Amie,
J’ai fini de lire votre manuscrit, LES CINQ DANSES DE NITOCRIS. Inutile de vous dire tous le plaisir que j’y ai pris. J’ai pris le temps qu’il fallait. Selon mon habitude que vous connaissez bien, je l’ai lu le crayon à la main en notant mes observations et mes remarques au passage. J’en suis sorti éberlué.
Comment vous dire alors ce j’en pense, honnêtement ? Je suis bien embarrassé. J’ai eu un peu l’impression d’être comme ce vieux critique d’art qui disait devant moi à un peintre de mes amis, Gen Paul, pour ne pas le nommer : « C’est mal foutu, mais que c’est beau ! Au fond, c’était une manière d’hommage rendu à un talent « différent ».
C’est à peu près ce que je vous disais au temps lointain où je publiais LA ROSEE DU SOLEIL ou Les DIEUX VERTS comme vous me le rappelez : « Quoique vous écriviez, cela ne ressemblera jamais aux autres. » Et cela se vérifie une fois de plus dans LES CINQ DANSES. L’ouvrage est impossible à analyser. On y trouve de quoi faire deux ou trois ouvrages « différents ». Au moins. Le thème initial du « Mal terrien »/ « Nous sommes immortels, la Mort est une métamorphose » se perd de vue au long des pages. D’abord une fresque historique dans un somptueux désordre très oriental (158 pages), puis une biographie tout aussi désordonnée, très russe, de « mutante en strict résumé » aussi émouvante que passionnée et enfin, des réflexions en forme de vision ou de fable orientale sur l’avenir.
Bien sûr, on retrouve le style Henneberg, inimitable, dans son « baroquisme », mais ce n’est pas, pour moi de la SF ou du moins de la SF telle que nous en publions dans notre collection. Est-ce même un « roman » ? Cela me parait plus proche de L’OPALE ENTYDRE et de Charles Bourgois (*). Mais je ne veux pas me fier à mon seul « jugement » et je préfère envoyer votre manuscrit à notre ami Jacques Bergier afin d’avoir sa réaction.
Toutes mes amitiés
PS. – Manque la page 246 dans le manuscrit.
(*) Lire Christian Bourgois, l’éditeur mort récemment.
(Le premier roman de Nathalie Henneberg, sous le
pseudonyme de Dominique Hennemont faussement attribué à son mari, 1952)
Une carte jointe à la lettre et tenant par un trombone indique pour Jacques Bergier :
« Ci-joint le manuscrit que j’ai reçu de Madame Henneberg : Les Cinq Danses de Nitocris. Avec la copie de la lettre que je lui envoie. Jetez-y un coup d’œil et après, si vous êtes d’accord avec moi, passez-le manuscrit pour qu’elle le rende à Anne Lenclud (Agent de N. Henneberg, CM). J’ai encore un manuscrit que je viens de recevoir de David Maine (Pierre Barbet, CM)). Je vous l’adresserai dès que je l’aurai lu. Et je me mettrai (enfin) sérieusement au travail sur mes Anciens Astronautes. A bientôt par lettre. Avec mes amitiés ».
Cette lettre de refus est adressée à Nathalie Henneberg le 29 mars 1977. Nathalie Henneberg mourra le 24 juin 1977 à l’Hôpital Tenon, moins de trois mois après. Dans une correspondance du 19 avril 1989, avec Anne Lenclud qui dirigeait l’Agence Littéraire (derrière l’Agence Maurice Renault), elle m’indiquait les dates de rentrée des manuscrits de Nathalie Henneberg que Maurice Renault et elle-même avait reçus. Parmi les titres cités, deux ont retenu mon attention :
- 31 mai 1967 - Ce sont les Cosmonautes
- 06 avril 1976 - Le Khéroub des Etoiles (dernier manuscrit reçu).
Donc Les Cinq Danses de Nitocris dont parle Georges H. Gallet l’ancien directeur littéraire du Rayon Fantastique (Hachette-Galimard) et des collections Science Fiction et Super Fiction (Albin Michel) dans sa lettre de refus à Nathalie Henneberg a été écrit et terminé quelques mois avant le renvoi du manuscrit par lui-même à Jacques Bergier. C’est donc le dernier roman de Nathalie Henneberg. Jacques Bergier a aussi conservé le manuscrit car s’il l’avait transmis comme le lui demandait Georges H. Gallet dans sa carte-lettre, Anne Lenclud l’aurait enregistré. Maintenant reste la possibilité qu’il l’ait porté à son amie mourante, ce dont je doute.
(Nathalie Henneberg sans doute fin des années 1930/début des années 1940...)
La copie de la lettre du 29 mars 1977 et le carton adressés à Jacques Bergier ont été retrouvé dans les Archives de ce dernier à la Bibliothèque de Saint-Germain en Laye qui héberge les archives du « Scribe des miracles » léguées ainsi que tous ses livres (la plupart en anglais) à cette bibliothèque. Lorsque j’y suis allé pour la première fois, j’étais en compagnie de Jean-Luc Buard ; c’est alors que nous avons découvert la copie de la lettre de refus et le carton adressé à Jacques Bergier. Et nous nous sommes donc posé plein de questions. Nous sommes retournés à la bibliothèque : des manuscrits y figuraient mais aucun d’entre eux n’était le manuscrit de Nathalie Henneberg, Les Cinq Danses de Nitocris et à ce stade, nous avons considéré que le manuscrit avait bel et bien disparu puisque on ne connaît pas le destin des archives de Nathalie qui conservait, entre autres souvenirs, chez elle son autobiographie limitée à ses souvenirs d’enfance ainsi que ses manuscrits en instance. Nous sommes retournés, une autre fois à Saint-Germain en Laye, et avons examiné systématiquement l’ensemble des rayons (que nous n’avions pas pu voir la fois précédente) et des manuscrits sans bien sûr rien y découvrir. A l’époque, faute de moyens, un inventaire n’avait pas été dressé et donc il était impossible de savoir si le neveu de Jacques Bergier avait remis le manuscrit à la Bibliothèque avec la lettre de refus ou l’avait conservé si tant est qu’il était dans les archives héritées de son oncle. Donc il restait à espérer que ce manuscrit avait été remis par Jacques Bergier qui ne voulait pas les conserver à des amateurs ou admirateurs de l’auteur, ce dont il était coutumier puisque c’est ainsi que j’ai pu récupérer un manuscrit intermédiaire du roman Le Sang des Astres (1963), intitulé alors L’Univers à quatre dimensions entre les mains de Maxim Jakubowski, libraire à Londres, à qui je l’ai acheté le 5 octobre 1988. Il aurait détenu aussi un autre manuscrit plus important, en nombre de pages, que celui publié au Rayon Fantastique, La Forteresse perdue (1962). Je le lui aurai acheté mais il ne le retrouva pas à l’époque.
(Tout le monde, jury, éditeur et auteur, a signé pour le Grand Prix du Roman d'Anticipation Scientifique 1954, y compris Charles Henneberg, qui n'a pourtant pas écrit lui-même son livre, en bas à droite verticalement...)
La lettre de refus de Georges H. Gallet amène plusieurs réflexions. A l’époque où il publiait ses romans chez Albin Michel (Le Mur de la Lumière (1972), La Plaie (1974), Le Dieu foudroyé (1976), Nathalie Henneberg était en tête des ventes des collections devançant les meilleurs auteurs étrangers, y compris les américains. Les chiffres des listings de ventes sont dans les archives de Jacques Bergier qui les recevait puisque co-directeur des collections avec son compère Gallet. Avant la découverte de sa lettre, Georges H. Gallet que j’avais rencontré pour une interview avec Jean-luc Buard m’avait dit que Nathalie Henneberg était malade et n’écrivait plus. Lorsque je découvris la lettre de refus des Cinq Danses de Nitocris, je fus assez surpris de voir que contrairement à ce qu’il m’avait dit elle continuait bel et bien à produire toute malade qu’elle fut. Il aurait pu donc publier les Cinq Danses de Nitocris sans aucun problème personne ne lui aurait fait de reproche d’autant plus qu’il avait publié quelques romans sans importance ou nuls dans ses deux collections d’Albin Michel. A noter aussi qu’il n’attendit pas la réponse de Bergier pour envoyer la lettre de refus.
En fait ce que ne digérait pas Georges H. Gallet, c’était la publication de romans et de nouvelles dans d’autres collections comme Le Masque, dirigé par Jacques Van Herp ou comme chez Christian Bourgois.
La lettre de Georges H. Gallet apporte aussi un démenti à ceux qui croient toujours que son mari écrivait, La Rosée du Soleil étant signée Charles Henneberg. Tous ses contrats chez Hachette sont signés par elle et non par son époux, j’en détiens la preuve : toute les photocopies des contrats me furent adressée par un des directeurs de chez Hachette très compréhensif. Enfin pour finir par eux, ni André Martel qui publia Les Trois Légionnaires (1952) et Le Sabre de l’Islam (1953), ni Jean Birgé (qui publia La Naissance des Dieux (1954), quand je leur déclarai que ces romans avaient été écrits par une femme, qui n’était autre que Nathalie Henneberg, ne voulurent me croire. Les documents que je joins ici en sont la preuve pour ceux qui voudront l’admettre en comparant les écritures.
A noter aussi et c’était un petit truc de Nathalie Henneberg pour savoir si son manuscrit avait bien été lu, l’absence de la page 246 comme s’en est aperçu Gallet qui bien sûr n’était pas dupe.
Le manuscrit de 1967, Ce Sont les Cosmonautes, ou Les Cosmonautes cité par Didier Reboussin, fut envoyé à Alain Dorémieux avec un nouveau titre : Demain le Ciel et corrigé par lui. Quelques temps avant son décès (1998) et à la suite d’un déménagement, Alain Dorémieux qui quittait Biarritz, remit une partie de ses archives à Francis P. Valéri-Doster. Le roman refusé Demain le Ciel y figurait. J’en demandais une copie à Francis Valeri - que je remercie encore ici - et dont je payais la duplication et c’est ainsi que je pus le lire. Dans une correspondance de professionnels de l’édition SF, établie par Pierre Versins, Nathalie Henneberg déclarait le 21 sep 1963 dans le numéro 7 du bulletin « On Dirait » (p.10) daté du 27 novembre 1963 en répondant à Gil Roc, un jeune écrivain qui l’admirait : « …Comme vous y allez ! Je ne suis jamais contente de mon travail d’artisan. Et j’évite soigneusement les planètes du système solaire (Gil Roc espérait un chef-d’œuvre se déroulant sur Vénus) ; sans être une scientifique patentée, je les sais trop proches dans le temps, sinon dans l’espace. Mon roman à paraître se passe sur Anti-sol d’Alpha-Andromède (Le Sang des Astres, 1963). Et le suivant dans la Fosse du Cygne. Mais dans l’intervalle, il y aura, peut-être, un livre qui ne quitte pas la Terre et où j’essaie d’établir la jonction entre la Sc-f et « la littérature avec un grand L » (Académiciens, je lutte pour nous tous ! On dira : « On ne lui demande rien ! ».
Ce livre qui ne quittait pas la Terre , c’était Demain le Ciel, un livre assez visionnaire puisqu’il envisageait rien moins que l’existence dans le futur d’une Agence Spatiale Européenne et l’histoire de quelques cosmonautes. Mais ce n’était pas un récit flamboyant comme elle avait l’habitude d’en écrire pour Alain Dorémieux qui l’estimait beaucoup et il le refusa pour sa parution dans la revue Fiction dont il était alors rédacteur en chef : il aurait trop désorienté ses lecteurs. Il le conserva, néanmoins, mais ne le plaça nulle part bien que l’ayant rewrité (corrigé).
Tel était alors le sort des manuscrits avant notre période actuelle où l’on peut les anéantir d’un clic…ce qui est plus amusant que de les jeter à la poubelle comme les maisons d’éditions le faisaient alors par tombereaux entiers.
(Écriture de «Dominique Hennemont» qui n'a rien à voir avec celle de
Charles Henneberg mais beaucoup avec celle de sa femme...)
(Écriture et signature de Nathalie Nenneberg)
Pour ceux, têtus, qui ne veulent pas mettre à jour leurs connaissances livresques et qui répètent comme des perroquets ce que d’autres ont dit avant eux, sans rien vérifier, une dédicace sur le premier livre en français de Dominique Hennemont, Trois Légionnaires (André Martel, 1952), que je viens de recevoir, prouve bien que c’est elle qui écrivit le roman, c’est en effet l’écriture de Nathalie Henneberg et non celle de son époux Charles dont je possède deux échantillons très caractéristiques que je vous livre ici.
Charles Moreau (Copyright 2009)
Le Webzine OUTREMONDE nous présente dans la revue UNIVERS VIII un excellent article de Didier Reboussin qui connut bien Nathalie Henneberg : lien : http://outremonde.fr/index.php?/downloads/4
1 commentaire:
Bonjour Charles,
Le nouveau lien d'Univers 8 est le suivant : http://outremonde.fr/univers-8-outremonde-concentre-imaginaire
Amicalement,
Cyril
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